Avec
« The wrestler » (2009) puis « Black swan » (2011), Darren
Aronofsky s’était imposé comme l’un des meilleurs réalisateurs au monde
(« Black swan » est assurément l’un des meilleurs films de la
décennie), grâce notamment à une direction d’acteurs époustouflante. Ces deux
films dessinaient cependant une limite car ils étaient bâtis selon le même
schéma : suivre en permanence caméra à l’épaule au plus près d’un
personnage son accomplissement, qui passe par beaucoup de souffrance et croise
la folie. Ces deux films reposaient tout entier sur la performance de leurs
acteurs principaux respectifs, Mickey Rourke et Natalie Portman. Ils traitaient
des mêmes interrogations sur le prix de la création (faut-il aller jusqu’à
la souffrance pour devenir un génie ?) qui faisaient écho au
processus-même de création du film puisque la souffrance des personnages pour
accomplir leurs rêves rejoignait celle des acteurs pour décrocher leur Oscar.
Systématismes
Après un
détour un peu déroutant mais plutôt impressionnant par le blockbuster biblique
avec « Noé » (un vieux rêve du réalisateur), Aronofsky est revenu à
son « système » avec « Mother ! ». La caméra à hauteur
d’épaule ne décroche pas une seconde du personnage principal, interprété par
Jennifer Lawrence. Elle sera maltraitée tout au long du film, dans une lente
mais très longue plongée dans l’horreur. La distinction entre réalité et folie
est très incertaine. Autant de similitudes qui établissent un système de
fiction d’Aronofsky. De plus, « Mother ! » traite bien de la
création, mais d’une manière légèrement décalée puisque le personnage principal
qui paye le prix de la création n’est plus le créateur (un écrivain interprété
par Javier Bardem) mais sa muse.
Généralement,
quand on reconnait un systématisme, c’est qu’une limite est atteinte. Ici l’atteinte de la limite est particulièrement
spectaculaire. Le souci avec les films qui montent en crescendo tels ceux d’Aronofsky,
c’est que si le spectateur décroche, tout ce qui suit le moment du décrochage va
alimenter sa déception, puis sa colère, et parfois sa haine. Au vu du nombre de
spectateurs qui ont quitté la salle au cours de la projection, ce dernier point
est régulièrement atteint par le film.
Démesure
Le problème
de « Mother ! » est qu’Aronofsky n’a plus aucun sens de la
mesure. Le film est très, très lourdement chargé de symboles, de références,
jusqu’au ridicule : le cœur battant de la maison (on a vu plus subtil
comme métaphore écolo) par exemple ou le fait qu’aucun personnage n’ait de nom
(ce qui n’allège pas leur côté allégorique). Et quand le film vire franchement
dans la folie dans sa deuxième partie, il n’y va pas avec le dos de la
cuillère. Cette partie est interminable, et interminablement répétitive. Le
cauchemar qui ne veut pas s’arrêter dure si longtemps qu’il en devient
insoutenable. Cela rappelle les pires moments de « Requiem for a
dream », le film le plus horrible d’Aronofsky.
Sauf qu’ici
tout tourne à vide (le choix du terme « tout » étant donné l’ambition
totalisante de cette partie). La folie à l’écran va-t-elle avoir un sens ?
ou cela est-il purement allégorique ? se demande-t-on tout au long de la
projection. Le final répondra malheureusement à la question de la manière la
plus décevante qui soit (et d’autant plus qu’on finit par le deviner et le
craindre avant la fin du film). Ce final est un tel exploit déceptif qu’il agit
comme un choc sur les spectateurs. Tout ça pour ça ? Oui.
Autoportrait
La seule
manière un peu intéressante de considérer « Mother ! » (c’est-à-dire
autrement que comme un ratage majeur) est de le voir comme un autoportrait du
réalisateur Darren Aronofsky. Il serait à l’écran l’écrivain interprété par
Javier Bardem. Le final nous montre que tout ce qui a été montré sort de la
tête de l’écrivain, de même que le film a été imaginé, écrit (apparemment en
cinq jours, ce qui peut expliquer certains choses) et réalisé par Aronofsky.
Jennifer Lawrence, qui joue la muse de l’écrivain, est la femme d’Aronofsky et
les deux couples (fictifs et réels) ont le même écart d’âge. La souffrance de
l’actrice nécessaire à la crédibilité du cauchemar imaginé par le réalisateur
rejoint celle dans la fiction du personnage aidant son mari à accoucher d’un
nouveau roman. C’est donc comme si la folie, la démesure d’Aronofsky avait
contaminé son œuvre, à tous les niveaux.
Mais la
résonance entre le fond et la forme a ses limites : un mauvais film comme « Mother ! »
reste un mauvais film. La carrière en dent de scie de Darren Aronofsky est
décidément pleine de surprises.
On retiendra…
Le possible autoportrait.
On oubliera…
Un raté intégral. Aronofsky
transforme ses thèmes récurrents en névroses obsessionnelles et termine par le
final le plus déceptif qui soit.
« Mother ! » de
Darren Aronofsky, avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem,…
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