« Air : une heure »,
« Mer : un jour », « Terre : une semaine » :
avec ces trois inserts, Christopher Nolan expose le dispositif formel de son
nouveau film, qui tourne une fois de plus sur la distorsion temporelle.
« Dunkerque » est un montage entrecroisé de trois actions s’étalant
sur des échelles de temps différentes mais rassemblées par la magie du montage
en une unique temporalité d’une durée totale de 1h47. Indéniablement, le temps
est le sujet principal d’étude du cinéaste, et la cheville ouvrière de ses
scénarios.
Tension
Le film est
guidé par une obsession, celle de l’immersion. On suit de très près les faits
et gestes de trois personnages (et de bien d’autres auteurs d’eux) : un soldat,
un pilote d’aviation, et un marin civil. Il n’y a pas de scène d’exposition, le
film nous plonge directement dans l’action. Les personnages sont donc
« essentialisés » aux seuls buts qu’ils poursuivent : fuir à
tout prix la plage de Dunkerque, protéger l’espace aérien, évacuer les soldats de
Dunkerque… Le nom de certains personnages ne sera même pas connu. Ils vivent
dans l’urgence extrême : l’arrivée de l’armée nazie est imminente.
Pour
montrer l’horreur de cette course contre la montre, Christopher Nolan déroule
une véritable mécanique cauchemardesque : le danger, pour les personnages sera
permanent et perpétuellement renouvelé. Le scénario accumule les péripéties,
sans jamais ménager ses spectateurs, brisant systématiquement les rares moments
de repos par une nouvelle catastrophe. C’est rendu possible grâce aux trois
histoires narrées parallèlement. Le film saute d’une ligne à une autre, d’un péril
à un autre, pour maintenir la tension toujours à son plus haut, jusqu’au bout. La
course contre la montre est rappelée de manière très littérale (ce qui est
typiquement nolanien) par le tic-tac d’une horloge, présent en sourdine dans
toute la bande-son du film composée (on ne change pas une équipe qui gagne) par
Hans Zimmer.
Christoper
Nolan est un des réalisateurs les plus doués pour créer de la tension, comme
l’avait démontré de manière inouïe plusieurs séquences de
« Interstellar » par exemple. Avec « Dunkerque », c’est
comme s’il avait voulu étirer les pics de tension atteints
dans « Interstellar » à toute la durée d’un film. Le but étant
de faire ressentir au spectateur une tension égale à celle des soldats acculés
sur la plage de Dunkerque. C’est un projet fou, à la hauteur de l’ambition du
réalisateur. Mais un projet, malgré tout le talent du réalisateur, impossible à
accomplir. Si « Dunkerque » est un monument de tension, une véritable
« expérience » cinématographique, d’une intensité rare, le film finit
par buter contre les limites de son système formel – ou plutôt contre les
limites de l’écriture de Nolan, comme « Interstellar » avant lui.
Surtension
A force
d’enchaîner les péripéties en sautant d’une ligne narrative à une autre, Nolan
finit par fatiguer puis exténuer le spectateur. Le film multiplie en effet les
effets de réalisation, et notamment les effets sonores, dans une surenchère répondant
à l’accumulation folle de péripéties permise par les trois lignes narratives. Et
cette accumulation finit par rendre évidente l’artificialité du scénario et du
montage du film.
La
distorsion du temps dans « Dunkerque » est un pur artifice de montage, et
assumé comme tel par les inserts au début du film. Ce montage n’a pas d’autre
justification que la volonté arbitraire du réalisateur d’assommer ces
spectateurs par des péripéties relançant encore et toujours le suspense, alors
que les dilatations étaient expliquées dans « Inception » par les
rêves emboîtés et dans « Interstellar » par la relativité. Nolan crée
de la tension pour servir l’immersion, mais l’excès de tension finit par se
retourner contre la sensation d’immersion en rappelant la nature artificielle
du montage. Lorsqu’on en prend conscience, le caractère arbitraire d’une
fiction tend en effet à nous « faire sortir du film ». Le dispositif formel
trouve ici sa limite. Le projet échoue : on ne ressent pas la tension des
soldats pendant toute la durée du film, mais en fait jusqu’à ce que l’on se
rappelle que l’on regarde un film.
Brexit
Il
n’empêche, « Dunkerque » reste un formidable spectacle. D’autant plus
rare et précieux qu’il s’agit d’un blockbuster hollywoodien complètement
original, ni suite, ni remake, ni future franchise… « Dunkerque »
marque aussi par sa résonance très forte avec l’actualité : cette histoire
de repli des britanniques, quittant le sol européen, rappelle de manière
frappante le Brexit (mais le parallèle s’arrête là, ce n’est pas pour fuir
l’extrême droite que le Royaume-Uni a voté le Brexit, bien au contraire…). Même
si le film ne tient aucun discours sur le Brexit ou sur notre époque, car il n’a
été écrit que comme une reconstitution historique et avant le vote du Brexit, cette
résonance rend les images de la fuite des britanniques particulièrement
poignante et dérangeante… Presque involontairement, « Dunkerque » est
le premier grand film sur le Brexit.
On retiendra…
La sensation d’immersion,
l’extrême tension qui parcourt le film. La résonance avec le Brexit.
On oubliera…
L’excès de tension finit par
détruire la sensation d’immersion.
« Dunkerque » de
Christopher Nolan, avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance,…
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