jeudi 30 juin 2016

Une leçon d’humilité (The witch)

Si l’on a été sensible aux sirènes du marketing, c’est pour sa mise en scène que l’on s’est rendu à une projection de « The witch ». Ce premier film américain d’horreur et d’époque passé par Toronto, Sundance et Gérardmer a en effet été récompensé dans ces deux derniers festivals pour sa réalisation. Et c’est bien elle qui interpelle dès l’ouverture du film : les dialogues sont absents ou rares, les plans sont très soignés, bien découpés, la photographie grisâtre impose à elle seule une sensation de chape de plomb, on sent une volonté de refuser la facilité et de rechercher l’originalité. Mais quelque chose vient rapidement à clocher : le réalisateur n’attendra même pas cinq minutes avant de dégainer l’artillerie lourde. Celle qui, semble-t-il, a justement subjugué (ou plutôt berné) les jurys des festivals. De quelle artillerie parle-t-on ? Il s’agit d’effets de pure mise en scène « kubrickiens » (on revient là-dessus juste après), qui visent uniquement à faire peur, en ne recourant qu’à la force des paysages, au silence, et à la musique. Une telle entrée en matière est assez osée… et complètement ratée, puisque cet étalage de puissance qui parait injustifié et artificiel fait décrocher le spectateur du film au moment-même où celui-ci cherche à y entrer (on rappelle que dix minutes ne se sont pas encore écoulées). L’histoire n’a donc pas encore commencée que le spectateur a déjà deux intuitions : il n’aura jamais peur car la mise en scène, par ses airs de démonstration gratuite de maestria, lui rappelle constamment l’artificialité de ce qu’il regarde ; il devra subir la prétention d’un réalisateur qui semble ne pas se prendre pour n’importe qui, David Eggers.
Le reste du film ne sera qu’une confirmation de ces deux intuitions.


Dans la salle, personne ne vous entendra crier (et pour cause)
Le désinvestissement que j’ai éprouvé pour le film et son histoire était si grand que je me suis même demandé, dans cette histoire de sorcière conquérant peu à peu une famille de colons isolée en forêt de Nouvelle-Angleterre, quel était le but du Mal dans cette affaire. Pourquoi vouloir posséder des êtres aussi inintéressants (ces êtres étant les personnages principaux du film) ? La peur est donc absente, malgré cette succession de séquences qui semblent avoir été filmées avec le manuel du « Kubrick appliqué » : mise en scène froide et détachée, faite de plans à la belle composition géométrique, qui savent suggérer la menace par un usage du zoom lent, et qui sont même parfois accompagnés d’un chœur de voix déstructurées évoquant la folie et l’irrationnel (une copie conforme de la fameuse musique accompagnant les apparitions du monolithe dans « 2001 : l’odyssée de l’espace »).

La lévitation qui rabaisse tout
« The witch » est donc aussi passionnant et palpitant qu’une récitation de manuel. Ce qui pourrait à la limite produire un film peu inspiré mais efficace. Sauf que, emporté par son ego, David Eggers s’est cru l’auteur de ce qu’il récitait… D’où ce final hallucinant de prétention, sur lequel on ne peut pas ne pas revenir : alors qu’un noir prolongé à l’écran nous faisait faussement espérer que le film était terminé, la dernière séquence survient enfin. Elle montre l’héroïne du long-métrage échanger quelques mots avec le Diable (qui lui demande notamment et inexplicablement : aimes-tu le beurre ?, réplique instantanément culte mais qui ne se voulait pas drôle), puis s’enfoncer dans les bois et rejoindre un sabbat (ce qui ne sera pas un spoiler pour tous les spectateurs qui auront vu l’affiche du film). Le dernier plan la voit en proie à rire démoniaque et ridicule pendant qu’elle se met à léviter, dans un copié-collé de la mise en scène de « 2001 : l’odyssée de l’espace » (la séquence où l’astronaute contemple l’infini), avant de couper brutalement sur le carton « Ecrit et réalisé par David Eggers »… placé avant un autre carton expliquant que le film aurait des sources historiques (ce qui est complètement hypocrite) et suivi du générique final.
Une interprétation tirée par les cheveux mais séduisante serait de voir dans cette élévation finale de l’héroïne un portrait caché de David Eggers, éclatant d’un rire mégalomane, satisfait du travail accompli (il a trompé tout le monde) et en route vers le cercle céleste des démiurges. C’est dire à quel point la prétention du réalisateur transpire dans tous les plans du film et notamment cette fin risible…

« Du génie à l’arnaque : de l’héritage de Kubrick dans le cinéma contemporain »
Le seul intérêt de « The witch » est de fournir un contrepoint parfait à « The neon demon » de Nicolas Winding Refn, puisque le hasard des sorties les font arriver dans les salles presque la même semaine. L’occasion de comparer à travers deux films la postérité de l’œuvre de Kubrick dans le cinéma (d’horreur) contemporain, puisque Eggers comme Refn y puisent l’essentiel de leur inspiration – mais avec un talent infiniment différent.

On retiendra…
Une volonté de départ louable : un film d’horreur qui ferait peur par ses ambiances et ses silences,  loin des surenchères d’effets à tendance gore du tout-venant.

On oubliera…
Une mise en scène d’une prétention sans nom qui transforme le film en mécanique tournant à vide passées les cinq premières minutes. Une arnaque.


« The witch » de David Eggers, avec Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie,…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire