lundi 1 décembre 2014

Tourner pour Turner (Mr Turner)

Le biopic de peintre est à lui tout seul un genre cinématographique. Les cinéastes ne se lassent pas de montrer leurs illustres collègues du 3ème art en pleine création. Le cinéma est en effet un excellent médium pour plonger dans la subjectivité d’un peintre, car il permet par les prouesses des chefs opérateurs de le représenter dans le monde tel que le peintre le voyait (selon le regard qu’a transmis son œuvre picturale). Au-delà de ce que peut raconter la vie-même du peintre, le biopic de peintre est d’abord le rêve de tout admirateur : sur une autre toile (celle du cinéma), ressusciter une œuvre.


La lumière faite monde
On ne s’attendait pas à voir Mike Leigh, l’un des plus grands portraitistes de la Grande Bretagne contemporaine, s’attaquer à ce genre en portant à l’écran la vie de William Turner, précurseur de l’impressionnisme. « Mr Turner » au cinéma s’impose pourtant bien vite comme une évidence.
Filmé par Dick Pope, la vie de Turner s’avère une formidable occasion pour animer les tableaux du maître, renouer avec cette lumière extraordinaire, très chaude, décrite par le peintre comme le fondement du monde : si cette lumière de Pope est émouvante, c’est aussi parce que le film, en tant que projection, est effectivement un monde animé par la lumière. Joué par Timothy Spall, la vie de Turner s’avère une formidable occasion pour l’acteur de livrer une composition incroyable de borborygmes, raclements de gorge, éructations et gestes bourrus bourrés de tics. Raconté par Mike Leigh, la vie de Turner s’avère constituer une œuvre très significative sur les vicissitudes de la vie d’un artiste : trop excentrique pour ses pairs, le génie de Turner n’était pas reconnu et il était vu et considéré comme un grossier personnage à moitié fou.

L’empathie
Or, c’est effectivement ce à quoi ressemble Turner dans le film. C’est un père fuyant ses responsabilités, un mari infidèle, odieux avec ses proches et ses employés, un véritable ours, certes capable de peindre, mais d’une manière tout sauf élégante (Timothy Spall n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il joue Turner peignant à grand renfort de crachats). Ce personnage hautement antipathique conquiert cependant peu à peu la sympathie puis l’admiration du spectateur, grâce à la mise en scène d’une grande finesse de Mike Leigh. Le cinéaste anglais est un maitre de la distance : ses images paraissent des plus neutres, comme s’il ne portait aucun regard, aucun jugement, sur ce qu’il nous montre. Sauf que ce n’est en fin de compte absolument pas le cas, comme le spectateur s’en rend compte en prenant de plus en plus le parti de Turner. Leigh a ce brio de toujours sembler s’effacer, de ne rien asséner, de laisser une totale liberté morale au spectateur… pour finalement mieux l’amener dans la direction qu’il souhaitait. Une mise en scène admirable car en ne forçant rien, elle fait adhérer le spectateur par lui-même au regard que le cinéaste portait sur les situations qu’il lui montre. L’on devine présent le regard du cinéaste qu’a posteriori – puisqu’on pense d’abord que c’est le nôtre. Cette mise en scène repose sur l’intelligence du spectateur, et un principe fondamental : l’empathie pour les personnages. Tout est magnifique dans le film, la photographie, l’interprétation, les décors, les costumes, les cadrages, mais c’est ça qui fait de « Mr. Turner » un chef-d’œuvre.


On retiendra…
La composition Timothy Spall, la lumière de Dick Poppe, et surtout la mise en scène empathique de Mike Leigh.

On oubliera…
A quand un film de peintre qui ne soit pas une splendeur picturale ? Ça n’aurait évidemment pas de sens, mais ce serait une révolution…

« Mr. Turner » de Mike Leigh, avec Timothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey,…

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