C’est une
idée de génie, inédite dans l’histoire du cinéma : tourner un film
entièrement en langage des signes, sans qu’une seule parole ne soit prononcée,
et sans sous-titres. Un nouveau genre de cinéma muet, cinéma qui continue donc toujours
d’inspirer de nouvelles formes, comme le prouve les succès récents de
« The artist » et « Tabou » (quoique le premier soit le
moins novateur). Cette idée s’incarne dans « The tribe », le premier
long-métrage de l’ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy, vainqueur du Grand Prix de
la Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes.
Prise en otage morale
Tous les indicateurs sont donc au vert pour faire de
« The tribe » un véritable « choc » cinématographique.
De choc, il en sera bien le cas. « The tribe » est en effet un film
immonde, un véritable scandale encore renforcé par l’incompréhensible pluie de
prix et de critiques enthousiastes récoltées par le long-métrage, et dont
l’interdiction – justifiée – aux moins de 16 ans du long-métrage donne déjà un
aperçu de ce qu’il est réellement.
Il faut, à propos de ce film, distinguer l’idée de
départ du résultat final. Imaginer un long-métrage qui soit vu et vécu
différemment selon que l’on soit capable d’entendre et de lire le langage de
signes est, on le répète, un coup de génie. Mais qui est malheureusement gâché
de la plus vile des manières par un scénario et une mise en scène d’une
violence inimaginable.
Slaboshpytskiy
raconte en effet dans « The tribe » les sévices subis par un jeune
sourd muet dans un établissement spécialisé, dominé par une bande imposant sa
loi par la violence, les trafics et la prostitution. « The tribe »
nous fait donc vivre, pendant plus de deux heures, l’enfer vécu par son
personnage principal et les membres de son « clan ». Ce déluge de
violence dans laquelle se repait la mise en scène est d’une cruauté infinie
pour les spectateurs du long-métrage. Vivre dans notre société avec un tel
handicap est effectivement très difficile, mais il est presque immoral de
marteler ce message avec une telle force.
L’idée
maitresse de mise en scène, qui est d’ôter ou de donner aux spectateurs des
informations sur ce qu’il se passe à l’écran en fonction de sa compréhension du
langage des signes et sa capacité à entendre ne s’incarne que dans deux scènes,
où le réalisateur-scénariste tue ses personnages. Or la mise en scène du film,
bâtie sur des plans-séquences virtuoses au format large 2,39:1 – très
impressionnante et qui aurait pu être saluée dans un autre cadre – est si embourbée
dans la fausse route de son réalisme qu’elle transforme l’expérience de ces
scènes, et particulièrement la deuxième (le final du film) en traumatisme pour
le spectateur. L’horreur de la prise en otage morale opérée par le réalisateur
sur le dispositif réaliste de sa mise en scène trouve son exemple le plus
abject dans la scène de l’avortement sauvage, montrée frontalement et en temps
réel. Porter au supplice le spectateur en lui faisant vivre le martyr du
personnage est le degré zéro de la mise en scène.
Cet
enchainement interminable de scènes choquantes que constitue « The
tribe » ruine donc complètement l’idée novatrice qui a guidé la création du
long-métrage. D’ailleurs, avant même que le film n’ait vraiment commencé, le
réalisateur se tire déjà une balle dans le pied en annonçant dans un carton introductif
que le film a été tourné entièrement en langage des signes et qu’il ne
comportait ni sous-titres ni voix off. Ce dont tout spectateur se serait rendu
compte au cours de la projection (s’il n’était pas déjà au courant avant).
Prendre ainsi de haut ses spectateurs n’est de toute manière que la première
des humiliations que va dérouler « The tribe »…
On retiendra…
L’idée de départ : une
forme inédite de cinéma muet, une projection à l’expérience double. La maitrise
des plans-séquences.
On oubliera…
La violence à multiples
niveaux qui gâche et anéantit tout le propos du film.
« The tribe » de Myroslav
Slaboshpytskiy, avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova,…
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