Avec « The
smell of us », Larry Clark a de nouveau droit à une sortie en salle, après
son fameux « pied de nez aux escrocs d’Hollywood » lancé en 2012 – le
réalisateur avait directement mis en ligne son film « Marfa girl »
sur son site personnel (la location coûtait 5 euros). Il s’agit aussi d’un
retour de Larry Clark en France après sa rétrospective au Musée d’Art Moderne
qui avait beaucoup fait parler d’elle à cause de son interdiction aux moins de
18 ans par la Mairie de Paris. C’était en 2010, et c’est lors de cette rétrospective
qu’il a eu l’idée de réaliser un film à Paris, le premier de sa carrière qui
soit situé en-dehors des Etats-Unis.
Entrer dans l’image
L’œuvre de
Larry Clark est hautement perturbante, pour ne pas dire choquante. Que ce soit dans
ses films ou dans ses photographies, la question de la distance de l’artiste
face à son sujet saute littéralement aux yeux. Devant son oeuvre, « Comment
se fait-il qu’il puisse photographier ça ? Comment se fait-il qu’il puisse
filmer ça ? » sont les questions que tout spectateur ne cesse de se
poser. Les mêmes interrogations surgissent dès l’incipit de « The smell of
us ». Et pourtant à cette ouverture l’on comprend que « The smell of
us » est un tournant (ou un testament, selon les points de vue des
acteurs) dans la filmographie de Larry Clark. L’artiste, pour la première fois,
se met lui-même en scène, à travers deux personnages différents (mais égaux de vulgarité
et grossièreté). Il y a deux manières de voir cette incrustation du réalisateur
dans ses propres images. Vient-il de franchir la dernière limite à ne pas
dépasser – la séparation entre l’auteur et son sujet, point de départ du « malaise
Clark », étant réduite à néant dans son dernier film ? Ou y fait-il
preuve d’une honnêteté rare, courageuse et pleine d’autodérision, en reconnaissant
lui-même qu’il est là où il ne devrait pas être ?
Il est en
fait difficile de trancher pour l’une ou l’autre manière de voir. « The
smell of us », c’est du grand cinéma sordide. Maintenant qu’il est (et se
voit comme) quelqu’un d’âgé, la fascination de Larry Clark pour la jeunesse est
plus aigüe que jamais. Cette fascination s’incarne ici par un travail
extraordinaire sur la peau des comédiens – il faut citer et saluer la beauté de
la scène de la boîte de nuit, tournée dans les sous-sols du Palais de Tokyo, où
s’amalgament des corps suants. Plastiquement très belle, elle est montée avec
une suite de raccords impossibles qui étourdissent comme dans une transe,
sensation encore rehaussée par l’arrivée inopinée dans la bande-son de « Ring
them bells » de Bob Dylan. Lorsqu’il confronte parfois très crûment la
jeunesse de la peau de ses acteurs au déclin de la vieillesse, il fait jaillir
une mélancolie terrible et poignante.
Mais cette
fascination, qu’il assume comme jamais puisqu’il se filme lui-même en adorateur
fétichiste de la jeunesse, n’en reste pas moins extrêmement perturbante, et
même malsaine – la répétition des scènes de sexe vire rapidement à l’infâme.
Forme hybride
Larry Clark
ne prétend pas à la réalité documentaire, il lui préfère une fiction – très outrancière
– plus à même selon lui de capter une vérité. Or, cette fiction a malgré tout
pour le spectateur des allures de documentaire, et c’est cette confusion qui
rend son cinéma si dérangeant. Cet aspect documentaire prend dans « The
smell of us » une dimension inédite, puisque le film est visuellement
comme narrativement marqué de ses nombreux accidents de production[1]
(abandon d’acteurs en cours de tournage). Ceux-ci lui ont conféré une forme
hybride, inachevée, qui paradoxalement s’avère très fructueuse car elle
insuffle une énergie, une urgence à cette œuvre qui tient désormais autant du
geste que du film.[2] Un
exemple permet de saisir cette étrange alchimie : des images fortement pixellisées
de l’action, aux couleurs détournées (saturées, solarisées, transformées), sont
régulièrement insérées dans le film, participant à la construction de ce regard
fasciné par la peau. Ces images viennent en fait d’un téléphone portable
utilisé comme caméra et ayant brusquement subi une avarie en début de tournage.
Après être
entré à l’intérieur de son œuvre, quelles nouvelles inventions peuvent encore
faire évoluer le cinéma de Larry Clark ? Une chose semble sûre : le malaise
ne sera jamais très loin.
On retiendra…
Larry Clark rentre à l’intérieur
de son film, décuplant la force de son œuvre.
On oubliera…
En ne se cachant plus, Larry
Clark aiguise le malaise que son travail provoque.
« The smell of us » de Larry Clark,
avec Lucas Ionesco, Hugo Behar-Thinières,…
[1] Lire à ce propos l’incroyable
journal tenu par l’assistant caméra, Romain Baudean, intitulé « Diary of a
motherfucker assistant camera during the shooting of ‟The smell of us’’ »
[2]
Cet aspect devrait être encore plus prégnant dans la version « director’s
cut » du long-métrage, où l’histoire du tournage est mêlée à celle du
film.
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