mardi 4 novembre 2014

Opinion (High-opp)

Un roman posthume de Frank Herbert, est-ce que ça a vraiment un intérêt ? Quand on connait le désastre éditorial perpétré par Brian Herbert et Kevin J. Anderson autour de l’œuvre de l’auteur de « Dune », il y avait de quoi être méfiant. Cette exhumation d’un manuscrit oublié, refusé à l’époque par tous les éditeurs – les circonstances de cette redécouverte restent d’ailleurs assez floues – était-elle, comme les innombrables séries continuant l’univers de « Dune », une entreprise purement commerciale ?
Qu’on se rassure : ce n’est pas du tout le cas. « High-opp » est un très bon roman dystopique, dont la qualité rend même plutôt incompréhensible son refus de la part des éditeurs d’alors. Pas question ici de roman inabouti ou bancal, d’ « erreur de jeunesse » propre à ternir la légende littéraire de son auteur : « High-opp » est un pur roman herbertien, dont la lecture sera propre à ravir aussi bien les admirateurs de l’œuvre d’Herbert (pour qui un roman inédit est comme un cadeau tombé du ciel) que ceux qui n’ont pas lu « Dune ».


Une œuvre qui n’a pas perdu de sa pertinence
Dans cette œuvre vraisemblablement écrite entre 1955 et 1960 d’après Gérard Klein, Frank Herbert décrit une sorte de démocratie absolue, où toute proposition de loi est soumise à un vote sur une partie représentative (choisie au hasard, chaque fois différente) de la population mondiale. Vote qui est donc semblable à un sondage d’opinion : d’où le « opp » du titre. Vote qui, comme tout sondage, peut évidemment être détourné : le pouvoir réside alors dans la formulation correcte des questions…
Premier point frappant : ce futur imaginé avant les années 1960 par Herbert où le sondage est le socle social élémentaire semble toujours aussi pertinent. Aujourd’hui les sondages pullulent dans la presse, et ont acquis une importance presque capitale dans l’exercice de la politique. L’explosion d’internet et des réseaux sociaux a aussi été suivi d’une surmultiplication des avis, exprimés à tout bout de champ, en billets de blogs ou en 140 caractères. La science-fiction est une littérature prospective, et Frank Herbert – qu’on savait déjà avoir, entre autre, tout compris de la raréfaction des ressources et des problématiques écologiques – en était un maître : c’est ce que nous réaffirme « High-opp ».
           Deuxième intérêt du roman : l’écriture de Frank Herbert, ramassée et complexe, qui avance à coups d’ellipses impulsant un rythme remarquable au roman. Herbert est toujours aussi virtuose lorsqu’il s’agit de décrire des confrontations et des manipulations, par l’usage des voix intérieures notamment. « High-opp », aux nombreux retournements de situations, se lit d’une traite.
          Enfin, voire surtout pour les nostalgiques de « Dune », on retrouve dans « High-opp » les prémices des chefs-d’œuvre futurs de Frank Herbert. Citons par exemple la manipulation secrète d’une population pour sa sauvegarde, l’échec de ce plan imperturbablement rationnel à cause des émotions… Lire « High-opp » c’est découvrir la genèse de son œuvre future, et cette lecture est passionnante. Elle est d’ailleurs développée dans une excellente postface de Gérard Klein, très éclairante sur l’intérêt de ce roman.
          D’autres romans de Frank Herbert ont été retrouvés avec « High-opp » : vivement leur publication !


« High-opp » de Frank Herbert, édition Robert Laffont, collection Ailleurs et Demain

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