Un roman
posthume de Frank Herbert, est-ce que ça a vraiment un intérêt ? Quand on
connait le désastre éditorial perpétré par Brian Herbert et Kevin J. Anderson
autour de l’œuvre de l’auteur de « Dune », il y avait de quoi être
méfiant. Cette exhumation d’un manuscrit oublié, refusé à l’époque par tous les
éditeurs – les circonstances de cette redécouverte restent d’ailleurs assez
floues – était-elle, comme les innombrables séries continuant l’univers de « Dune »,
une entreprise purement commerciale ?
Qu’on se
rassure : ce n’est pas du tout le cas. « High-opp » est un très
bon roman dystopique, dont la qualité rend même plutôt incompréhensible son
refus de la part des éditeurs d’alors. Pas question ici de roman inabouti ou
bancal, d’ « erreur de jeunesse » propre à ternir la légende
littéraire de son auteur : « High-opp » est un pur roman herbertien,
dont la lecture sera propre à ravir aussi bien les admirateurs de l’œuvre d’Herbert
(pour qui un roman inédit est comme un cadeau tombé du ciel) que ceux qui n’ont
pas lu « Dune ».
Une œuvre qui n’a pas perdu de sa pertinence
Dans cette œuvre
vraisemblablement écrite entre 1955 et 1960 d’après Gérard Klein, Frank Herbert
décrit une sorte de démocratie absolue, où toute proposition de loi est soumise
à un vote sur une partie représentative (choisie au hasard, chaque fois différente)
de la population mondiale. Vote qui est donc semblable à un sondage d’opinion :
d’où le « opp » du titre. Vote qui, comme tout sondage, peut
évidemment être détourné : le pouvoir réside alors dans la formulation correcte
des questions…
Premier
point frappant : ce futur imaginé avant les années 1960 par Herbert où le
sondage est le socle social élémentaire semble toujours aussi pertinent.
Aujourd’hui les sondages pullulent dans la presse, et ont acquis une importance
presque capitale dans l’exercice de la politique. L’explosion d’internet et des
réseaux sociaux a aussi été suivi d’une surmultiplication des avis, exprimés à
tout bout de champ, en billets de blogs ou en 140 caractères. La
science-fiction est une littérature prospective, et Frank Herbert – qu’on
savait déjà avoir, entre autre, tout compris de la raréfaction des ressources
et des problématiques écologiques – en était un maître : c’est ce que nous
réaffirme « High-opp ».
Deuxième intérêt du roman : l’écriture de Frank
Herbert, ramassée et complexe, qui avance à coups d’ellipses impulsant un rythme
remarquable au roman. Herbert est toujours aussi virtuose lorsqu’il s’agit de
décrire des confrontations et des manipulations, par l’usage des voix intérieures
notamment. « High-opp », aux nombreux retournements de situations, se
lit d’une traite.
Enfin, voire surtout pour les nostalgiques de « Dune »,
on retrouve dans « High-opp » les prémices des chefs-d’œuvre futurs
de Frank Herbert. Citons par exemple la manipulation secrète d’une
population pour sa sauvegarde, l’échec de ce plan imperturbablement rationnel à
cause des émotions… Lire « High-opp » c’est découvrir la genèse de
son œuvre future, et cette lecture est passionnante. Elle est d’ailleurs développée
dans une excellente postface de Gérard Klein, très éclairante sur l’intérêt de
ce roman.
D’autres romans de Frank Herbert ont été retrouvés
avec « High-opp » : vivement leur publication !
« High-opp » de Frank Herbert, édition Robert Laffont,
collection Ailleurs et Demain
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire