La
réédition par Mnémos du space opera écrits à quatre mains par Ayerdhal et
Jean-Claude Dunyach [1] a
quelque chose de monumental, tant le livre, grâce à sa magnifique couverture
signée Gilles Francescano, est beau et imposant. A sa sortie, « Etoiles
mourantes » avait divisé la critique – et cette division ne rend la
découverte du roman que plus intéressante aujourd’hui.
Re-re-re-repousser l’horizon fictionnel
L’humanité
a rencontré une espèce extraterrestre qu’elle appelle AnimalVille et qui porte
très bien son nom. Ces gigantesques êtres peuplant le vide spatial sont en
effet capables d’abriter des populations entières d’hommes dans leurs
entrailles, vivant en symbiose avec leur hôte. Avec les AnimauxVilles,
l’humanité a essaimé dans l’espace. Le voyage est d’autant plus facile que les
gigantesques aliens ont une compréhension différente de l’univers, inaccessible
à l’entendement humain. Les AnimauxVilles voient l’univers, qu’ils appellent
« Ban », comme une grille discontinue de poches tridimensionnelles,
repliées sur elles-mêmes, et liées par des points de résonance appelés
« alephs ». Les échanges d’un point à un autre rendent accessibles
aux AnimauxVilles et aux humaines qu’ils transportent l’univers dans son entier.
L’arrivée de
ces créatures a donc bouleversé l’humanité, mais a surtout exacerbé ses
désaccords. Jusqu’à provoquer la scission de l’espèce humaine en quatre
« Rameaux », quatre voies d’évolution différentes. Pour mettre fin aux conflits les opposant, les
quatre Rameaux, à l’instigation des AnimauxVilles, se sont dispersés dans
autant de recoins de la galaxie.
A l’idée d’un
Rameau correspond un futur possible pour l’humanité : les « Mécanistes »,
une société guerrière et conquérante où la femme a perdu tous ses droits, les « Originels »,
qui se désincarnent de leurs corps par le biais d’IA appelés
« personae », les « Organiques » qui ont poussé la symbiose
à l’extrême, au point d’être capables de modifier par un effort de volonté leur
propre corps, et les « Connectés », qui rassemblent leurs
esprits dans un flux de données.
Les Rameaux
sont indirectement exposés l’un après l’autre dans la première partie du roman.
La richesse de leur traitement donne l’impression de se retrouver face non pas
à un roman mais à quatre, tant ces sociétés, qui n’ont plus rien à voir entre
elles, sont finement détaillées. De vastes intrigues pourraient être racontées
dans chacun des Rameaux, indépendamment des autres. De cette richesse de
détails naît une profondeur et un réalisme capables de donner une vie propre à ces
sociétés, en-dehors de l’intérêt immédiat de l’intrigue. Entre ces Rameaux, la
plus grande réussite du duo d’auteurs est à coup sûr le peuple des Connectés,
qui ne supportent pas physiquement de vivre sans connexion au réseau, et
doivent respecter des sortes de paliers de décompression de données lorsqu’ils
s’y reconnectent... Le lien avec notre monde actuel est évident, et plus
pertinent que jamais. La première moitié du roman ouvre à chaque nouvelle découverte
d’un Rameau à un sentiment de vertige, en repoussant ainsi par quatre fois
l’horizon fictionnel.
Une supernova littéraire
La seconde
partie, les « Retrouvailles », rassemble toutes les intrigues amorcées
dans la première autour d’un système binaire d’étoiles mourantes s’acheminant irrémédiablement
vers une supernova. Avec ces deux parties, le roman est donc bâti selon des
logiques contradictoires, qui dessinent comme un rebond de l’univers
fictionnel : une expansion puis une contraction. Lors de cette dernière,
ce n’est plus le vertige de l’ampleur croissante du récit qui agit, mais un
sentiment d’inéluctabilité : au fil des pages, le roman se resserre. Il perd
de sa fraîcheur, mais gagne l’intensité du compte à rebours : le final est
en effet annoncé dès le titre du roman. Or cette supernova est plus qu’une
toile de fond aux proportions cosmiques, car elle agit comme un catalyseur
dramatique, accentuant puis précipitant sensations et émotions, jusqu’à
l’explosion. La construction comme l’écriture-même du roman s’accordent donc à
la nature d’une supernova.
« Etoiles
mourantes » brille donc par sa construction, son univers fictionnel riche,
détaillé, pertinent, mais aussi par l’étonnant concept d’appréhension de la
réalité que développent les auteurs tout au long du roman pour expliquer la
manière dont les AnimauxVilles se déplacent de points en points dans l’Univers.
Ils se basent, on l’apprendra à la fin du livre, sur une théorie scientifique :
comme toute bon travail de science-fiction, la lecture d’ « Etoiles
mourantes » est donc des plus stimulantes.
Quinze ans
après sa publication, l’entreprise follement ambitieuse d’Ayerdhal et Dunyach
paraît toujours aussi détonante dans le milieu de la science-fiction française
et du space opera en particulier. La construction magistrale du roman et la prospective
passionnante développée par le duo d’auteurs, alliés à cette description très
sensuelle et originale du voyage interstellaire, ont de quoi faire d’ « Etoiles
mourantes » un chef-d’œuvre. Pourtant, on ne peut s’empêcher de tempérer
ce jugement enthousiaste par le sentiment d’une perte de puissance dans la
deuxième partie du roman. Le rassemblement des intrigues, et donc des
personnages principaux, rend certains d’entre eux artificiels. La supernova
agit sur la deuxième partie du roman comme un trou noir attire les objets qui s’en
approchent. Le final est tel une gravité fictionnelle qui tend l’intrigue de la
seconde partie vers lui, à tel point que certains personnages apparaissent
soudainement comme des rouages aidant à son arrivée. Un défaut inhérent
peut-être à la construction épousant la forme d’une supernova du roman, qui n’en
diminue pas pour autant son importance.
« Etoiles mourantes » d’Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach, Mnémos
[1] Originellement
paru chez J’ai lu en 1999, c’était le premier titre de la collection « Millénaires ».
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