Pour
William Friedkin, le cauchemar ne s’est pas arrêté à la fin du tournage – qui a
connu des déboires dignes de celles références d’ « Apocalypse
now ». Il a continué à la sortie du film, cruellement boudé par le public
en 1977. Et s’est encore poursuivi au-delà : l’échec commercial de
« Sorcerer, le convoi de la peur » a précipité le film dans l’oubli,
alors même que Fridekin le considérait comme son chef-d’œuvre.
Il aura
fallu attendre plus de 35 ans pour que le cauchemar prenne fin. La présentation
d’une restauration du film à la 70ème Mosta de Venise en 2013 et sa
ressortie en salles cet été en France consacrent enfin une œuvre totale,
spectaculaire par sa démesure.
Réparer l’Histoire
Découvrir
le film aujourd’hui, c’est se demander si une malédiction n’a pas frappé ce
film pour qu’il ait pu échapper aussi longtemps à la notoriété. Une question
revient en boucle au sortir de la salle : mais comment a-t-on pu passer à
côté de « Sorcerer, le convoi de la peur » ? Pourquoi n’en
avait-on jamais entendu parler jusqu’à sa restauration ? Alors même que
William Friedkin (« French connection », « L’excorciste »)
a gardé une immense renommée ? Alors même que « Le salaire de la
peur », dont « Le convoi de la peur » est un remake, et qui
donne un énorme coup de vieux au film de 1953 d’Henri-Georges Clouzot, n’a pas
quitté les mémoires ?
L’histoire
du cinéma peut être parfois extrêmement cruelle. Impossible en effet de nier à
« Sorcerer » son statut de chef-d’œuvre et d’œuvre majeure. Fondé
entièrement sur la puissance visuelle, la mise en scène de Friedkin se contente
d’un minimum de dialogues et d’explications. Le prologue est à ce titre
remarquable. Il présente à la suite quatre séquences (soit autant de
« films dans le film ») tournées sur des continent différents, sans
qu’on ne puisse établir tout d’abord de lien entre elles, avant de comprendre
passé cette première partie qu’il s’agissait de la présentation des personnages
principaux.
Jusqu’à la folie
L’action se
déplace alors dans une dictature imaginaire d’Amérique du Sud. La chaleur, l’humidité,
la boue, la misère, la violence, ce qui est montré est un véritable enfer sur terre,
extrêmement saisissant, et magistralement – et majestueusement – filmé. La
force visuelle de Friedkin est telle que ces images deviennent des sensations.
On ressent ainsi quasiment physiquement la fureur d’une foule animée par la
colère.
La démesure
de ce projet cinématographique hors norme éclate à l’écran lorsque se forme le « convoi
de la peur » du titre. Le transport de la nitroglycérine liquide, prête à
exploser au moindre choc, est un mécanisme narratif d’une efficacité folle pour
créer du suspense, et Friedkin l’utilise à plein. Il va beaucoup plus loin qu’Henri-Georges
Clouzot : la furie des éléments, obstacle à la réussite de la mission du
convoi, est d’une violence très impressionnante et confère à toutes les
séquences une intensité inouïe. Le spectateur est cloué à son siège, n’ose esquisser
un mouvement de peur de faire péter la nitro à l’écran, voire en oublie de
respirer…
Le sommet
du film étant cette double traversée d’un pont branlant en pleine tempête
au-dessus d’un fleuve en furie… Tout simplement l’une des séquences les plus impressionnantes
jamais tournées. « Le convoi de la peur » accède alors au mythe.
S’ajoute encore
à la toute-puissance de ces images l’implacabilité du scénario. « Sorcerer »
déroule la machinerie complexe mais incoercible du destin, et donne une vision
très déterministe de l’existence. Pendant tout le film, l’homme combattra la
nature et ses éléments, refusera son sort avec une résistance inouïe, et cette
lutte est tellement folle qu’elle est à la fois absurde et poignante.
Le film
vire enfin à l’expérience hallucinatoire, qui semble être la seule échappatoire
à ce trop-plein de puissance visuelle. Portée notamment par la géniale la
musique de Tangerine Dream, la déchance physique et morale du héros fait le
spectateur dans un état d’hébétement et de fatigue. Un de ces moments rares où
le cinéma s’annule pour devenir une expérience sensorielle.
« Sorcerer,
le convoi de la peur a donc tout d’un monument, dont la redécouverte était
historiquement indispensable. Trente-huit après, on n’a pas encore cessé de
mesurer l’ampleur de ce projet cinématographique et l’intrépidité de son
tournage.
On retiendra…
L’expérience sensorielle de
cette mise en scène d’une puissance visuelle qui vire à la démesure.
On oubliera…
La vision des autochtones d’Amérique
du Sud…
« Sorcerer, le convoi de
la peur » de William Friedkin, avec Roy Scheider, Bruno Cremer,…
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