mardi 24 mars 2015

La matière des données (Hacker)

Après « Public enemies », il aura donc fallu attendre six ans pour que Michael Mann revienne sur les écrans de cinéma. Une période d’inactivité cinématographique inhabituellement longue pour cet immense réalisateur qui, par ailleurs, ne s’est jamais précipité. Est-ce à cause de difficultés de financement ? Si c’est le cas, rebondir sera encore plus difficile pour Mann au vu de la carrière américaine catastrophique de « Hacker ». Avec ce thriller d’inspiration geek, le cinéaste s’attaque à l’ultra contemporain cyberespace.


Recherche visuelle
Les années ont beau passer, la singularité du cinéma de Michael Mann n’a toujours pas faibli. C’est un filmeur sans pareil, dont la sophistication visuelle émerveille à chaque plan. Il est toujours le seul à avoir compris quelles potentialités folles recelait le numérique pour créer de nouveaux types d’images. Il poursuit dans « Hacker » l’expérimentation visuelle développée depuis « Collatéral » (2004), avec ces images hyperréalistes qui tirent doucement vers l’hallucination, notamment lors des séquences nocturnes, d’une beauté toujours aussi stupéfiante. La sophistication des images de « Hacker » est encore plus grande lors des scènes d’action du film, où éclate à la figure du spectateur la force et l’invention visuelles du cinéaste. Mann fait s’opposer la très haute résolution des images permise par la caméra numérique à leur fréquence de défilement de 24 images par seconde, pour faire se mélanger et se brouiller les notions de flou et de netteté. Ce régime visuel démultiplie la violence des mouvements. Il lui suffit alors de filmer une course en  steadicam pour produire une scène d’action optiquement frappante et incroyablement haletante.
         Comment cet inventeur visuel allait-il donc représenter le monde caché numérique, l’anti-spectaculaire guerre cybernétique ? En restant attaché à la matérialité du monde informatique. Mann se raccroche coûte que coûte au visuel. Pas d’abstraction : les données numériques ne sont que peu représentées (les lignes de code n’envahissent pas l’écran), ce sont leur support physique qui concentrent l’attention du réalisateur. Ainsi, Mann projettera ses spectateurs dès les premières minutes du film dans la matérialité de l’informatique. Pour nous montrer la dissémination d’un malware, la caméra nous embarque au cœur de micro-processeurs, se rapprochant dans un zoom vertigineux jusqu’à la résolution des images de la microscopie électronique, où s’emballent les données les données le long des pistes du circuit, emballement qui raccorde avec l’explosion de ventilateurs géants d’une centrale nucléaire. Images incroyables, qui laissent augurer d’un très grand spectacle liant par des sauts le micrométrique au macroscopique, mais qui seront curieusement abandonnées dans la suite du film.

Auto-remake
         Mais ce refus de l’abstraction cache aussi une évidente tentation classiciste. Le scénario de « Hacker » ne propose rien d’aussi recherché que les démarches esthétiques avec lesquelles il est mis en images. L’opposition a beau être délibérée, elle n’en produit pas moins des déceptions. Michael Mann rejoue ici de nombreuses scènes directement tirées de ses films précédents, donnant la bizarre impression d’assister à des bouts d’auto-remakes. Le couple de « Hacker » joué par Chris Hemsworth et Tang Wei ressemble énormément, au point de les confondre, à celui déjà interprété par Colin Farrell et Gong Li dans « Miami vice ». Panne d’inspiration ? Ou interdiction de prise de risques ?
Si l’histoire que nous raconte Mann semble déjà nous avoir été racontée, il est encore capable de surprises. Le film contient un point de bascule digne d’une déflagration, qu’on ne peut évidemment pas raconter, mais qui est sans nul doute le sommet de cette œuvre.
          Michael Mann prouve une fois de plus son indépendance et ses capacités uniques de filmeur, mais semble être arrivé au bout de son propre système narratif. La suite ne devrait en être que plus étonnante encore.

On retiendra…
Une manière véritablement unique de filmer, une sophistication visuelle littéralement stupéfiante.

On oubliera…
Michael Mann fait se reboucler son cinéma en revenant sur des scènes devenues stéréotypes de son œuvre.


« Hacker » de Michael Mann, avec Chris Hemsworth, Tang Wei, Leehom Wang,…

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