Après
« La dernière piste » (2011), western féministe et inquiétant, au
souvenir persistant, Kelly Reichardt retourne au contemporain avec « Night
moves » – mais pour filmer une fois de plus des hommes perdus dans la
nature. Une œuvre qui s’inscrit dans la continuité de ses films précédents, qui
a valu à Reichardt d’être de nouveau en compétition à Venise… mais c’est
finalement au festival du film américain de Deauville que la réalisatrice a
enfin été récompensée.
Description de gestes et de paysages
« Night
moves » suit trois personnages dans leurs préparatifs de ce que l’on
comprend rapidement être un attentat au nom de l’écologie. L’engagement de ces
« décroissants » pour un mode de vie plus respectueux de
l’environnement est total, puisqu’ils vivent en pleine forêt en marge de la
société urbaine, presque coupés du monde.
Cette trame
permet à la réalisatrice de redéployer sa mise en scène, si précise et brillante.
Il y a d’abord son intérêt pour les grands espaces naturels. Les paysages,
magnifiques, sont rendus dans une photographie dont les tons évoquent la terre
mouillée. Il y a surtout son art de la précision : comme dans « La dernière piste », le film, tout du moins dans sa première partie, est une
suite de préparatifs, gestes dont
l’ordinaire est encore renforcé par l’absence d’effets de mise en scène – presque
aucune musique n’est là pour intensifier l’action ou poser une atmosphère, et
les dialogues sont rares. A tel point que les motivations des personnages, les
raisons profondes de leur engagement, sont et resteront énigmatiques.
Angoisse de l’étranger
Avec une
mise en scène d’apparence si austère, on pourrait redouter que « Night
moves » soit terriblement ennuyeux. Or non : cette narration minimale
crée un suspense effroyable. Le paradoxe de la réalisation de Reichardt est
qu’en restant dans la pure description, en réduisant au minimum les
explications des gestes de ces personnages, elle provoque chez le spectateur de
grands efforts d’implication. Le suspense vient du questionnement perpétuel
dans lequel il se retrouve plongé : vers quoi tendent les
personnages ?
N’étant pas
expliqué, ces gestes – pourtant simples mais qui créent un sentiment d’attente
croissant – finissent par faire peur. Face à l’engagement de plus en plus
radical démontré par les personnages, le suspense s’est mué en inquiétude. Le
moins rassurant d’entre eux est celui interprété par Jesse Eisenberg. L’acteur
de « The social network » trouve ici un de ces rôles de marginal qui
conviennent si bien à son jeu tout en tics et en décalages.
Kelly
Reichardt ne filme que du pur quotidien, et pourtant celui-ci est paré d’une
inquiétante étrangeté qui fait qu’on vit « Night moves » comme un film
d’horreur. Ce tour de force de mise en scène, déjà accompli dans « La dernière piste », expose de nouveau sa puissance dans ce film qui cache
encore son vrai sujet – ce n’est pas vraiment d’écologie dont il est question dans
« Night moves ».
On retiendra…
La mise en scène qui insuffle
un suspense puis une inquiétude proche de celle d’un film d’horreur à une suite
de gestes pourtant très ordinaires. La photographie.
On oubliera…
On espère que Kelly Reichardt
saura renouveler sa mise en scène dans la suite de sa filmographie. Le titre
français du film.
« Night moves » de Kelly Reichardt,
avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning,…
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