Alors que
son dernier long-métrage « Oxygène » a été mis en ligne sur
Netflix, retour sur la filmographie de son réalisateur Alexandre Aja, connu
pour être l’un des spécialistes nationaux du cinéma d’horreur, et aussi pour être
l’un des très rares français à réaliser des films américains sans se dénaturer.
Over the rainbow
Le premier
film signé Alexandre Aja est un court-métrage en noir et blanc de 10 minutes
sur un gardien d’immeuble. Très stylisé, voire trop (travers somme toute normal
pour une première œuvre), le court-métrage happe instantanément dans un univers
entre comique et horrifique qui rappelle beaucoup celui des débuts de
Jean-Pierre Jeunet. Très réussi, le court a été sélectionné en compétition au
festival de Cannes 1997.
Furia
Deux ans
plus tard, Alexandre Aja signe son premier long-métrage, à seulement 21
ans : « Furia ». A l’époque, tout comme rétrospectivement, ce
film fait figure d’ovni cinématographique : il s’agit d’un film de
science-fiction en français tourné au Maroc et dépeignant un futur dystopique
ensablé à la « Mad Max », inspiré d’une nouvelle de l’écrivain
argentin Julio Cortazar. Il réunit en tête d’affiche rien de moins que
Stanislas Mehrar (qui venait de gagner le César du meilleur espoir masculin en
1998) et Marion Cotillard, encore inconnue à l’époque.
Un projet
sûrement trop ambitieux pour un réalisateur aussi jeune, comme il le confessera
lui-même par la suite [1].
Si « Furia » est loin d’atteindre la puissance émotionnelle et la profondeur
qu’il semblait viser, il n’en reste pas moins un bon divertissement, qui sait
bien tirer parti de son budget limité. Aja démontre déjà qu’il est audacieux,
qu’il ne manque pas de d’idées de mise en scène, mais son film pâtit d’un
scénario pas assez fort et il s’embourbe dans la
représentation des scènes de violence.
Malgré (ou
à cause de ?) ces défauts, et grâce à sa singularité,
« Furia » me semble être un des films les plus intéressants du
réalisateur, certes maladroit mais pas raté, que je recommanderai finalement
plus que certains de ces films américains ultérieurs pourtant bien plus connus
et consacrés.
Haute tension
L’histoire
est connue : à l’été 2003 sort en France dans une indifférence polie le
film d’horreur « Haute tension » qui ouvrira pourtant suite à sa sortie à l’étranger les portes d’Hollywood à son réalisateur. Le casting est
une fois encore étonnant avec en tête d’affiche Cécile de France, Maïwenn et
Philippe Nahon.
Par rapport
à « Furia », l’ambition de ce film est plus raisonnable puisqu’il
s’agit ici d'un « simple » film d’horreur du genre slasher se déroulant le temps d’une nuit à la campagne. Raisonnable
mais pas moins audacieux : il s’agit quand même d’un slasher en français avec des stars françaises (certes encore en
devenir). Vingt ans plus tard, ce type de film relève toujours de l’anomalie
dans le paysage du cinéma français, même si à l’époque on le pensait comme le
début d’une « nouvelle vague » horrifique française qui n’est
finalement pas (encore ?) advenue.
« Haute
tension » est donc plus maitrisé que « Furia », même s’il
comporte encore des outrances inutiles dans la représentation de la violence.
S’il réussit à être vraiment inquiétant par moments, et comporte une légère
dimension politique, le film n’en est pas pour autant réussi, à cause d’un
twist final auquel je n’ai pas du tout adhéré. Au final, à l’image de son
générique d’introduction très tape-à-l’œil, « Haute tension » se
retrouve plombé par la volonté évidente du réalisateur d’étaler ses connaissances
en matière de cinéma horrifique. Dommage pour le film mais tant mieux pour
Alexandre Aja : c’est grâce à cette démonstration de force qu’il a fait
décoller sa carrière.
La colline a des yeux
En 2006
sortait le premier long-métrage américain d’Alexandre Aja, et son premier
remake : « La colline a des yeux », d’après l’un des premiers
films de Wes Craven. Je n’ai pas vu le film original. Il s’agit de nouveau d’un
slasher, mais cette fois-ci en plein
jour et en plein désert. Le film vaut d’abord pour sa trame horrifique qui
tient en haleine son spectateur avec le suspense autour de « Qui survivra
au massacre ? », mais il dresse aussi une caricature de l’Amérique
confrontée à son passé (ici atomique). « La colline a des yeux » est
donc indéniablement la première grande réussite d’Alexandre Aja, mais le film
ne dépasse pas pour autant son statut de film de genre et reste avant tout un
divertissement horrifique, la dimension "politique" étant très légère.
Mirrors
Le deuxième long-métrage américain d’Alexandre Aja a été tourné majoritairement en Roumanie. Il s’agit plus ou moins du remake du film coréen « Into the mirror », que je n’ai pas vu. C’est aussi le film à plus gros budget à ce jour du réalisateur. « Mirrors » relève toujours de l’horreur, mais n’est plus un slasher comme les deux précédents films. Il est aussi moins sanglant, mais provoque quand même un malaise certain . Techniquement, le film est impressionnant, grâce à un jeu très malin sur l’utilisation des miroirs et la contrainte payante de limiter le recours à des effets spéciaux numériques. Pour autant le film peine à passionner voire provoque un certain ennui à cause d’une durée excessive.
Piranha 3D
Sorti à la
fin de l’été 2010, « Piranha 3D » est le plus grand succès public d’Alexandre
Aja en France – et pourtant selon moi son moins bon film. Il est inspiré du film
éponyme (au 3D près) de Joe Dante de 1978, que je n’ai pas vu, à la riche postérité (et qui
lui-même était un rejeton des « Dents de la mer » de Spielberg…).
Ce film est
moins horrifique que satirique, et en cela se rapproche de « La colline a
des yeux » qui jouait aussi sur les tableaux de l’horreur et de la comédie
– sauf que si la balance penchait du côté de l'horreur pour « La colline a des yeux »,
elle penche ici tellement du côté de la comédie que le film ne fait plus du tout peur.
En somme, « Piranha 3D » est intéressant dans la filmographie d'Alexandre Aja car il y arpente avec un nouveau territoire du genre horrifique,
celui de la parodie. Mais « Piranha 3D » est lourd au point de se complaire
abondamment dans ce qu’il entend critiquer… ce qui en fait un film faussement
intelligent. Dommage aussi que le réalisateur n'emploie le formidable outil qu'est la 3D dans le seul souci d'augmenter le côté parodique de son film.
Horns
Avec « Horns »,
Alexandre Aja adapte pour la première fois un roman, « Cornes » de
Joe Hill (que je n’ai pas lu). Daniel Radcliffe y interprète un homme soudainement
doté de cornes et de pouvoirs paranormaux. Le réalisateur surprend encore avec
cette histoire qui ne ressemble à aucune de celle de ses films précédents, si
ce n’est qu’elle relève du cinéma fantastique. Mais mis à part le contre-emploi
de Daniel Radcliffe (qui était encore à l’époque quelque chose de nouveau), le
film ne comporte rien d’inoubliable, ni d’oubliable, car s’avérant au final
assez tiède, ni vraiment drôle, ni vraiment émouvant. Une curiosité à réserver
avant tout aux fans du réalisateur ou de Daniel Radcliffe, ou aux lecteurs du
roman.
La neuvième vie de Louis Drax
Il s’agit
du seul long-métrage du réalisateur à la diffusion vraiment confidentielle,
puisqu’il est sorti directement en vidéo en France. Je ne l’ai pas encore vu
(critique à venir sur cette page).
Crawl
« Crawl »
est le dernier film d’Alexandre Aja à être sorti en salle en France à ce jour,
à l’été 2019. A la manière de « Piranha 3D », il part d’une idée
extravagante – à savoir l’invasion d’une ville en Floride par des alligators en
plein ouragan – mais reste ici au premier degré et ne dérive pas (ou presque) vers
la comédie.
« Crawl »
est un film de survie, et qui respecte donc l’unité de temps et de lieu propre
au genre, en l’occurrence une nuit dans une maison inondée. La prise au
sérieux de cette histoire par le réalisateur surprend agréablement et s’avère
payante car elle procure de bons moments de tension. Au-delà de la pure mécanique
horrifique, le film esquisse aussi un portrait psychologique de son personnage
principal, mais cet aspect de l’œuvre n’est pas très intéressant, ni le plus crédible.
Comme
toutes les réussites de son auteur (excepté « Oxygène »), « Crawl »
se révèle être un très bon film d’horreur mais ne dépasse pas son statut de
film de genre, perdant de son intérêt s’il est considéré en-dehors de ce
statut. Au contraire par exemple d’« Arctic » de Joe Penna, autre film
de survie – encore plus radical – sorti quelques mois plus tôt que « Crawl »,
et qui partage avec ce dernier la même fin abrupte.
Oxygène
Le dernier
film à ce jour d'Alexandre Aja est aussi son meilleur. La critique de ce film est à retrouver
dans cet article (lien hypertexte à venir), accompagné de l’interview de l’un
de ses figurants (lien hypertexte à venir).
En conclusion, la filmographie d’Alexandre Aja est
très atypique voire unique dans le paysage cinématographique français
contemporain. Si elle ne contient aucun chef-d’œuvre (mais sans échec non plus),
elle n’en reste pas moins très intéressante à parcourir car en neuf long-métrages,
le réalisateur ne s’est presque jamais répété, si ce n'est dans le fait de tenter quelque chose de nouveau à chaque film. Sa faculté très rare de se faire
produire des deux côtés de l'Atlantique rend sa trajectoire d’autant plus
difficile à prévoir et donc passionnante.