samedi 23 avril 2016

The migrant (Desierto)

Contrairement à ce que le marketing veut nous faire croire (« Par les créateurs de Gravity » promet l’affiche du film), il ne s’agit pas d’un film d’Alfonso Cuarón – mais de son fils, Jonas. « Desierto » est son deuxième film et ressemble effectivement, par son scénario, à « Gravity » : comme ce dernier, c’est un « survival » dans un désert (la frontière américano-mexicaine) où un personnage principal, interprété par (l’incontournable) Gael Garcia Bernal, fera tout pour rentrer chez lui. Au cours de la traversée illégale de la frontière, lui et son groupe de migrants mexicains sont pris littéralement en chasse par un américain xénophobe et son chien…


La difficulté du dosage
Après quelques beaux plans d’ouverture, où l’aridité des décors filmés comme des aplats de couleur rend quasiment abstrait les premières images du film, « Desierto » déçoit assez rapidement. Le film en dit à la fois trop et pas assez sur ces personnages. D’un côté les migrants sont caractérisés à gros traits, au moyen de quelques astuces de mise en scène sursignifiantes (le nounours de Gael Garcia Bernal) qui peinent à les faire exister autrement que comme des fonctions du scénario. De l’autre le méchant du film, l’américain chasseur, est bien peu mystérieux. Montré au spectateur dès le début du film, il est trop visible pour être terrorisant. Ses actes le sont, bien évidemment, mais parce qu’elle ne cache pas ce personnage, le mise en scène « omnisciente » du film ne fait pas vraiment peur. (La réalisation, si elle était restée collée au point de vue de Gael Garcia Bernal, aurait sûrement été plus forte dans ses effets.) De plus, Jonas Cuaron ne résiste pas à faire un peu de psychologie et d’expliquer au spectateur ce personnage du chasseur. C’est encore une erreur de dosage : ces explications empêchent le personnage de devenir une figure terrifiante d’abstraction, et en même temps ne suffisent pas à faire comprendre au spectateur les actes du chasseur…
« Desierto » pâtit en fait d’une trop grande ambition. Comme Alfonso Cuarón ou Iñárritu,  le réalisateur a voulu hisser un film de genre (le film de survie) à une dimension supérieure plus noble, à la fois mythique (on découvre ébahi dans le générique de fin que le personnage principal s’appelle… Moïse) et politique (le sujet des migrants). Sauf qu’il échoue à la fois à faire un bon « survival » et une métaphore signifiante de l’horreur de la migration. « Desierto » se retrouve coincé pile entre ses deux volontés.
Reste une poursuite finale autour d’un rocher assez drôle par son minimalisme. Mais le film s’abimera une dernière fois dans une fin agaçante par sa fausse moralité (identique à celle de « The revenant », à ceci près que Gael Garcia Bernal est à des millénaires de la folie montrée par DiCaprio dans le dernier plan du film d’Iñárritu). Jonas Cuarón, s’il ne manque pas d’ambition, a donc encore du chemin à faire avant de se rapprocher de son modèle paternel.

On retiendra…
Le désert et son silence est un formidable décor qui a su être exploité dans quelques beaux plans. Une course-poursuite finale minimaliste.

On oubliera…
A cause de mauvais choix de mise en scène et d’écriture, le film passe complètement à côté de ses ambitions métaphorico-politiques.


« Desierto » de Jonas Cuaron, avec Gael Garcia Bernal, Jeffrey Dean Morgan,…

dimanche 3 avril 2016

Le déclin d’un genre ? (Batman v Superman)

En reliant ses films de super-héros en une seule histoire (supposément) cohérente, appelée le « Marvel Cinematic Universe », Marvel-Disney a suscité la convoitise de tous les autres grands studios hollywoodiens. Les milliards de dollars amassés par ces films qui se répondent les uns les autres ont poussé dans un bel élan d’inspiration créatrice WarnerBros, 20th Century Fox, Universal, Paramount et Legendary Pictures à préparer leur propre « univers cinématographique de super-héros », qui pourra être décliné en une multitude de films.


Mission impossible
C’est dans ce cadre que sort « Batman v Superman ». Comme l’indique très simplement son titre, l’idée première du film est de faire s’affronter les deux super-héros les plus célèbres (idée reprise immédiatement par Marvel dans un autre bel élan d’inspiration créatrice, cf « Captain America : civil war »). Mais c’est bien plus compliqué que cela : le film doit aussi être la suite de « Man of steel », tout en étant un reboot de la saga « Batman », ainsi que la préquelle de « Justice League » (l’équivalent DC Comics des « Avengers » de Marvel). Un cahier des charges si lourd qu’il vire à la mission impossible, confié à Zack Snyder, le génial réalisateur de « 300 » et « Sucker punch », déjà auteur de « Man of steel ». On ne s’étonnera donc pas que le film ne ressemble à rien, si ce n’est peut-être à la suite de « Man of steel ». « Batman v Superman » échoue à peu près sur tous les tableaux.

Nolanisé
Le film commence par nous raconter une nouvelle fois la genèse de Batman, joué cette fois-ci par Ben Affleck. Au passage, l’acteur est toujours aussi mauvais, mais a le mérite d’être complètement raccord avec l’interprétation tout aussi inexpressive d’Henry Cavill (Superman). C’est complètement inintéressant : comment nous faire adhérer à ce nouveau Batman, alors que tout le monde a encore en tête les trois films de Christopher Nolan, sortis entre 2005 et 2012 ? D’autant plus que cette nouvelle version du justicier masquée est très proche de celle imaginée par Nolan, dont elle essaie à peine de se démarquer…
La deuxième partie du film ressemble à une suite de « Man of steel ». J’ai déjà discuté ici de tous les problèmes attachés à cette représentation « nolanisée » de Superman : ce personnage est par essence trop ridicule et trop surhumain pour qu’on puisse le traiter avec la même gravité que Batman dans la trilogie « The dark knight ». Les défauts de « Man of steel » se retrouvent donc logiquement dans « Batman v Superman », notamment ce décalage entre le sérieux de la représentation de Superman et le comique qu’elle engendre involontairement… Pourtant, cette partie du film est peut-être la plus intéressante sur le plan du scénario car elle ébauche un début de réflexion sur la toute-puissance (la superpuissance de Superman, qui se rapproche de celle de Dieu, constitue à la fois une protection et une menace pour l’humanité)… mais elle agace car le scénario reprend la même construction narrative que les trois épisodes de « The dark knight ». Il s’agit une fois de plus d’un piège moral mis en place par un grand méchant, ici joué par Jesse Eisenberg, pour contraindre le super-héros à faire le mal… Le souvenir du Joker joué par Heath Ledger et des autres méchants de Nolan est encore trop frais pour que les manigances de Lex Luthor fassent penser à autre chose qu’à du déjà-vu. De plus, le jeu excessif de Jesse Eisenberg, qu’on était pourtant curieux et content de voir ici, se révèle très mal contenu : ses premières apparitions font sourire, puis les excentricités de l’interprétation deviennent à la longue profondément énervantes.

Marvelisé
La dernière partie du film n’est plus qu’un déluge d’action où l’on voit enfin combattre les deux super-héros. Le combat de Batman et de Superman est plutôt impressionnant, et contient même un lointain second degré (les pièges de Batman qui échouent les uns après les autres, la jubilation de détruire le décor à coups de coups de poings) qui rend illico la scène plus intéressante que tout ce qui avait précédé.
Mais le film se remettra bien vite dans des rails nettement plus conventionnels : comme absolument tous les films de super-héros, il s’agira une fois de plus d’une alliance de super-héros contre un boss final très méchant. Là encore, le sentiment de déjà-vu est trop fort pour susciter un quelconque intérêt. La seule bizarrerie vient de l’arrivée dans le combat de Wonder Woman, qui ressemble à une guerrière de l’âge de bronze. Elle explose les jauges de ridicule du film et rend définitivement boiteuse cette séquence censée nous faire verser des larmes d’émotion par sa résolution.
Le film, qui n’avait pas eu de vrai début, se termine évidemment sur une non-fin ouvrant sur les épisodes futurs, dans la même logique des films Marvel qui ressemblent de moins en moins à des films et de plus en plus à des morceaux de films laissant perpétuellement sur sa faim le spectateur. Autre (gros) point d’énervement : « Batman v Superman » crée artificiellement des connexions avec des films « spin-off » déjà en chantier chez WarnerBros. On a parfois l’impression que la narration fait des écarts juste pour nous faire la promotion des prochaines productions du studio !

Lassé
Au final, cet énième film de super-héros pâtit de la lassitude générée par le trop grand nombre de films de super-héros, tous semblables, produits par Hollywood en dix ans. « Batman v Superman » se contente de reproduire deux recettes gagnantes : celle du concurrent Marvel et celle de la trilogie « The dark knight » de Christopher Nolan. C’est très décevant, puisque en confiant ce film à Zack Snyder, WarnerBros semblait faire le pari d’un « DC cinematic universe » mis en scène non pas par des faiseurs comme chez Marvel, mais par des auteurs. Sauf que « Batman v Superman » ne ressemble pas à un film de Zack Snyder (encore moins que « Man of steel »), excepté une seule et unique séquence (d’ailleurs complètement gratuite dans la narration !), et qui est de loin la meilleure du film : il s’agit d’un cauchemar situé dans un décor post-apocalyptique, où Batman combat des sbires de Superman le temps d’un plan-séquence  comme Snyder sait si bien les faire… C’est à ça qu’aurait dû ressembler « Batman v Superman » pour être original, c’est peut-être à ça qu’aurait ressemblé « Batman v Superman » si Zack Snyder avait eu les coudées franches pour réaliser ce blockbuster de masse ployant sous ses enjeux commerciaux faramineux.

On retiendra…
Une séquence terrifiante (un cauchemardes de Batman), à la direction artistique surprenante, proposant une scène d’action trépidante, mais qui ne dure que quelques minutes.

On oubliera…
Un film sans début ni fin et faisant la promotion de ses suites et dérivés, aux airs de déjà-vus (et déjà-entendus pour la musique de Hans Zimmer), puisqu’il copie sans imagination la formule Marvel et la trilogie Batman de Nolan.

« Batman v Superman » de Zack Snyder, avec Henry Cavill, Ben Affleck,…