La méfiance
est ce qui prédomine lorsqu’on apprend qu’un acteur se fait réalisateur. Le
métier est tellement différent de l’avant à l’arrière de la caméra qu’une
certaine étanchéité du talent entre ces deux côtés est communément reconnue… Curieusement,
la méfiance est encore plus grande lorsqu’il s’agit du premier film d’un acteur
très réputé. Sûrement parce qu’on pardonne moins facilement à un acteur-réalisateur
les erreurs de « premier film » par sa connaissance supposée plus
grande de la manière dont on fabrique un film par rapport à un réalisateur
débutant.
Voilà où on
en était lorsque la sélection du premier film de Ryan Gosling a été annoncée à
Un Certain Regard à Cannes en 2014. Quoi ? L’acteur mutique révélé par
Nicolas Winding Refn avait donc quelque chose à dire ?
Oxymores
Cet a
priori explique peut-être la surprise que l’on éprouve en découvrant
« Lost river ». Le film est d’abord une histoire d’atmosphère, même
si le terme s’est bien galvaudé. Seule, l’intrigue générale, cette histoire
d’affirmation de soi d’un adolescent, n’est pas très intéressante, car elle n’a
rien d’original. Mais quelque chose retient l’attention, qui doit beaucoup à
l’excellent choix de tourner dans le cimetière urbain qu’est (en partie) devenu
Detroit. L’abandon de la ville est si criant qu’il finit par tout contaminer. L’espace
dans lequel se déroule le film est un lieu à part, perdu, qui ne croit plus
beaucoup en l’avenir et se dirige lentement vers le néant. Un ailleurs qui tire
le film vers la fable, mais qu’on ressent pourtant comme intimement connecté à
notre monde. L’intrigue peut sans mal y adosser les pertes et tourments de ses
personnages, qui existent presque tout seul, alors qu’ils sont irréels et
bizarres – ce qui les rend terrifiants, comme ce tyran dérisoire habitant un
zoo.
« Lost
river » est donc un conte très noir, sorte de southern gothic enténébré et
chatoyant, doux et violent, où la nuit parait lumineuse (superbe photographie
de Benoît Debie). L’œuvre, pleine d’oxymores, étonne encore lorsqu’elle
installe dans le récit une boîte de nuit cauchemardesque, un cabaret dérangeant
où se jouent des numéros pervers et burlesques, macabres et sanguinolents, très
saisissants. Et ceci n’est rien face à ce que réservent les coulisses de l’établissement.
Singulier
et captivant, « Lost river » est un film marquant qui se débarrasse
bien vite du passé de son réalisateur pour exister seul.
On retiendra…
Une atmosphère d’abandon,
belle et effrayante, qui précipite par moments dans un mélange extrêmement
dérangeant d’horreur et de burlesque.
On oubliera…
Une intrigue générale
initiatique qui n’a elle aucune originalité.
« Lost river » de
Ryan Gosling, avec Iain De Caestecker, Saoirse Ronan,…
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