« Les
Anciens disaient que Jauja était, dans la mythologie, une terre d’abondance et
de bonheur. Beaucoup d’expéditions ont cherché ce lieu pour en avoir la preuve.
Avec le temps, la légende s’est amplifiée d’une manière disproportionnée. Sans
doute les gens exagéraient-ils, comme d’habitude. La seule chose que l’on sait
avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis
terrestre se sont perdus en chemin… » : c’est par ce carton que s’ouvre
le mystérieux « Jauja », sélectionné à Un Certain Regard l’année
dernière à Cannes – outre sa sélection
au festival, la présence de Viggo Mortensen en tête d’affiche devrait assurer
une visibilité inédite à ce cinquième film de l’argentin Lisandro Alonso. C’est
aussi par ce carton que cette critique commence, car je me suis rendu compte rétrospectivement
qu’il ne résume que trop bien non pas l’histoire du film mais l’expérience de
sa projection. Le texte évoque le mythe et l’errance, la perdition.
L’onirisme… et le sommeil
Or il y a
un côté mythologique dans « Jauja », c’est même ce qui frappe en
premier le spectateur à la fin du carton : visuellement, le film semble issu
d’un autre temps. Signée Timo Salminen, la photographie cite les débuts du
cinéma, notamment par le format de l’image 1:33, presque carré et aux bords
arrondis, qui est celui du temps du muet, mais s’en détache au niveau des
couleurs, très vives et très nettes : le film a une beauté picturale éblouissante
et fascinante. La photographie renvoie donc le film dans un ailleurs situé au-delà
du passé : dans l’espace du mythe, ou du rêve.
On retrouve
aussi – et c’est plus problématique – dans l’expérience de la projection du
film la perdition dont traitait le carton d’introduction. Lisandro Alonso déroute
en ne montrant jamais au spectateur ce qu’il attendait. Le film avance ainsi
sans qu’on ne puisse jamais le prévoir, alors même qu’il suit pourtant une
ligne très claire et très simple, une intrigue de western classique : un capitaine
part à la recherche de sa fille, enfuie en territoire ennemi. Avec la
photographie, ce mélange indécis de connu et d’inconnu, faussement familier,
trompeusement conventionnel, achève de déplacer « Jauja » hors du
temps, vers un territoire onirique… où malheureusement il est très facile de s’endormir.
La lenteur et l’aridité de l’action, le statisme de la mise en scène, si elles servent
à installer cet onirisme où le temps paraît figé, rendent aussi le film
particulièrement austère. Le voyage est beau, mais lent…
Le mystère final
La dernière
partie réveillera les spectateurs assoupis (ce qui n’est pas sans ironie – il
est d’ailleurs remarquable de constater que la cohérence du film, toujours en
phase avec l’état émotionnel du spectateur). C’est une pirouette scénaristique
dont on ne peut rien dire, mais qui fait définitivement basculer le film du
côté de l’étrange car elle détruit tous les repères. En sortant de la
projection, la seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que comme tous
ceux qui ont essayé de trouver la clé de « Jauja », on s’est perdu en
chemin…
On retiendra…
Une photographie magnifique
qui donne au film l’allure d’un mythe. Le basculement de la dernière partie.
On oubliera…
Formellement très beau, mais
trop austère : le film est assez soporifique.
« Jauja » de
Lisandro Alonso, avec Viggo Mortensen, Viilbjørk Malling Agger,…
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