Cet été,
les blockbusters américains ont, plus que jamais, (ab)usé des effets spéciaux.
Des acrobaties en apesanteur de « Star Trek into darkness » aux combats
de titans de « Pacific rim », en passant par les cavalcades sur le
toit des trains de « Lone Ranger » : sans eux, le spectacle des
films hollywoodiens estivaux ne peut plus exister. Pour contrer leur
banalisation, la course au spectaculaire amène les producteurs et les
réalisateurs à verser dans la surenchère. Une course de longue haleine puisque
les studios s’y sont engagés depuis l’invention du blockbuster (en 1975 avec
« Les dents de la mer » de Steven Spielberg), mais qui, commencée à
l’allure d’une course de fond, a viré depuis les années 2000 au sprint. Sans
juger de la qualité du film, « Man of steel » de Zack Snyder semble être le dernier record
en date en la matière – le délire pyro-technico-numérique est tel qu’on a
l’impression d’assister à deux séances de cinéma en un seul film.
Cependant,
depuis les années 2000, le niveau moyen des films estivaux ne s’est pas
vraiment amélioré. Paradoxe ? Pas vraiment, puisque de bons effets
spéciaux n’ont jamais fait un bon film – c’est même devenu un cliché que de
l’écrire. Ce qui compte pour faire naître l’émotion n’a pas changé depuis le
début du cinéma : le scénario, les interprétations des acteurs, la bande
originale, et surtout la réalisation. La surenchère des scènes de démolition
massive 100% numériques parait donc un peu vaine et est marquée par le sceau
d’une péremption rapide. Le délire destructeur de « Man of steel »
impressionnera-t-il toujours après que l’on aura vu sa suite en 2015 ?
L’obsolescence
rapide est le principal défaut des effets spéciaux numériques – qui comportent
par ailleurs de très nombreux avantages. Mais ceux produits jusqu’à aujourd’hui
manquent encore cruellement de l’humanité des effets « classiques »,
le plus souvent mécaniques. « Pacific rim » de Guillermo del Toro
était dédié à Ray Harryhausen, qui s’est éteint cette année. Harryhausen était
le concepteur des effets spéciaux, entre autres, de « Le septième voyage
de Sinbad » (1958), « Jason et les Argonautes » (1963),
« Le choc des titans » (1981 – à ne pas confondre avec son remake de 2010).
Harryhausen avait repris et porté à son point culminant la technique
d’animation et d’incrustation dans l’image de miniatures, qu’il avait découverte
avec « King Kong » (1933). Soucoupes volantes, monstres marins,
dragons, cyclopes… Ray Harryhausen a animé toute sa vie durant un
impressionnant bestiaire issu de la mythologie. Sa plus grande réussite (et sa
plus célèbre) étant le combat de Jason contre un contingent de squelettes à la
fin de « Jason et les Argonautes ». Ces effets spéciaux-là n’ont
pas pris une ride : ils sont toujours aussi singulièrement émouvants.
L’aspect mécanique, légèrement saccadé (puisque les miniatures sont animées
image par image) de ces effets font mesurer au spectateur le travail de
l’animateur. Lorsqu’on regarde la fameuse scène de Jason contre les squelettes,
on sent qu’il a fallu quatre mois de travail pour produire ces… trois minutes
de combat.
Un aspect
« artisanal » qui a disparu avec les effets numériques actuels, qui
sont paradoxalement trop parfaits. L’œil ne décèle plus la création humaine
derrière les effets numériques et, sans imperfections, le regard du spectateur
glisse dessus sans s’émouvoir. La perfection est ici l’ennemi du bien. Comme si
l’esprit avait besoin d’un rappel que ce qu’il regarde est faux pour mieux se
forcer à y croire. Les imperfections de ces effets plongent donc plus
profondément le spectateur dans l’état de naïveté qui lui permet de se laisser
emporter par un film, et d’oublier qu’il n’est pas la réalité. Jadis, les films
muets ou les bons effets spéciaux non numériques vous plongeaient immédiatement
dans cet état-là. Aujourd’hui, est-ce qu’on l’atteint encore ?
Heureusement,
oui. Certains réalisateurs hollywoodiens résistent à la déshumanisation du
numérique. Le premier d’entre eux est le réalisateur de « Pacifc rim », Guillermo del Toro. Avec les deux « Hellboy » et
« Le labyrinthe de Pan », il a privilégié les costumes et l’animatronique
à la motion capture, les décors artificiels aux fonds verts, pour atteindre une
incroyable émotion visuelle et une poésie qu’on croyait oubliée. Cette logique
a été poussée jusqu’à son paroxysme par Michel Gondry, qui, de « Eternal
sunshine of the spotless mind » à « L’écume des jours », ne vise
plus avec ses effets spéciaux à la crédibilité mais à la poésie du faux.
On aurait
tort toutefois de conclure que seuls ces réalisateurs savent encore utiliser
des effets spéciaux aujourd’hui. Les effets numériques peuvent aussi donner d’excellents
résultats (et inaccessibles par des techniques traditionnelles). Ils émeuvent
lorsqu’ils font partie d’une grande mise en scène. James Cameron, J. J. Abrams
en sont les maitres. Ainsi que Zack Snyder, dont il était question au début de
l’article : son recours massif au numérique transforme ses films en
expérience abstraite (« 300 »).
Cependant,
il n’en reste pas moins que les effets numériques ont encore un long chemin à
parcourir avant d’égaler la puissance inhérente des effets traditionnels. Quand
donc les producteurs hollywoodiens se rendront-ils compte que, dans la course
au spectaculaire, leurs blockbusters concourent sur la mauvaise piste ?