lundi 26 octobre 2015

De quoi se mettre en colère (Chronic)

Michel Franco est un réalisateur mexicain dont l’ascension dans la cinéphilie internationale semble irrésistible. Elle doit tout au festival de Cannes. Son premier long-métrage y a été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs (« Daniel y Ana », 2009). Il est revenu à Cannes en 2012 pour son deuxième long-métrage, « Después de Lucía », remportant le prix Un Certain Regard. Cette année, il a atteint la plus prestigieuse des sélections avec son troisième long-métrage, « Chronic », récompensé du Prix du scénario. Trois longs-métrages seulement, et il ne lui manque déjà plus que la Palme d’or.


Malsaine mise en scène
C’est un euphémisme de dire à propos de « Chronic » que ce n’est pas un film joyeux. Il raconte la vie d’un infirmer, appelé David et interprété par Tim Roth, s’occupant de plusieurs malades en phase terminale. Vu la dureté du sujet, il ne doit pas avoir été beaucoup abordé au cinéma. La description de ce métier est donc intéressante dans ce qu’elle révèle des comportements humains (dans le film, l’infirmier et le malade dont il s’occupe nouent d’étranges relations d’inter-dépendance, que la famille du malade ne comprend pas). Mais une chose est sûre : il ne fallait surtout pas raconter ce métier comme l’a fait Michel Franco. Ni avec cette mise en scène, ni avec ce scénario.
Si « Chronic » est un très mauvais film, peut-être le plus mauvais sorti au cinéma cette année, ce n’est pas parce qu’il est mal filmé, ou que son réalisateur maitrise mal les techniques cinématographiques – bien au contraire. C’est parce qu’il est ignoble. Michel Franco montre frontalement la déchéance des malades dont s’occupe David, d’une manière extrêmement crue. Sa mise en scène relève d’une fausse pudeur qui ne devrait tromper personne, car elle ne vise qu’à faire choc. La maladie est horrible, mais la montrer ainsi ne fait honneur à personne, et surtout pas aux malades. Avec ce film, Michel Franco joue en fait avec ses spectateurs en se protégeant derrière la vérité de ce qu’il décrit. Son réalisme cru lui sert de caution pour manipuler les spectateurs, le choquer par sa frontalité et donc par son courage de cinéaste, sa lucidité. Or non : cette mise en scène est bassement sensationnaliste, et n’utilise que des procédés fallacieux. La preuve indiscutable de la tromperie de la réalisation arrivera (comme un coup de grâce) à la toute fin du film, inénarrable par sa bêtise.
Que « Chronic » ait été sélectionné en compétition à Cannes relève donc d’une très lourde erreur. Qu’il ait en plus été récompensé relève du scandale. Ce que montre ce film du cinéma de Michel Franco ne mérite pas qu’on l’encourage.

On retiendra…
Qu’il ne faut pas voir ce film, pour des raisons morales pourrait-on même dire.

On oubliera…
Une mise en scène qui, sous couvert de réalisme, ne vise qu’à choquer ses spectateurs pour démontrer une virtuosité cinématographique qui n’a rien à voir avec le sujet du film.


« Chronic » de Michel Franco, avec Tim Roth, Sarah Sutherland,…

vendredi 23 octobre 2015

L’inspiration reviendra (L’homme irrationnel)

Woody Allen, 49ème. Le film annuel du réalisateur new-yorkais, à la régularité quasi sans failles, est donc sorti. Tourné en Amérique, dans l’état de Rhode Island, le film se déroule sur un campus universitaire accueillant un professeur de philosophie à la réputation sulfureuse. Joué par Joaquin Phoenix ayant grossi pour le rôle, ce philosophe est en pleine dépression, mais il retrouvera goût à la vie le jour où il décidera de commettre un meurtre « altruiste ». Dernièrement, Woody Allen s’était montré très en forme, avec « Blue jasmine » en 2013 (tout simplement l’un de ses meilleurs films) et l’enchanteur « Magic in the moonlight » l’année dernière. Cette année, il n’avait pas l’inspiration.


Léger coup de mou
Cette fois-ci, on n’arrive jamais vraiment à croire à l’histoire que Woody nous raconte. Les défauts (incorrigibles ?) de son cinéma sont ici plus présents : outre le côté très bourgeois de ses longs-métrages, une description d’un milieu, le campus universitaire, pleine de clichés (et qui ne sont pas drôles), et un propos très simple (une soi-disant réflexion sur l’importance du hasard et du danger dans nos vies) qui vire ici au ridicule car il est exprimé lors de leçons de philosophie – auxquelles on ne croit donc pas une seconde.
Narrativement comme cinématographiquement, le film ne propose aucune surprise. Woody n’y tente rien de nouveau, rien qu’il n’ait déjà raconté ou filmé dans son abondante filmographie. Le seul étonnement viendra de la scène où le professeur de philosophie aura la révélation qu’il doit tuer quelqu’un : un virage narratif tellement tiré par les cheveux que le réalisateur ne trouvera pas d’autre moyen de justifier ce coup de folie qu’en mettant « irrationnel » dans le titre du film.
Etant moins réussi que les précédents, on a donc le sentiment de voir un film mis en scène en « pilotage automatique » par le réalisateur. Ce n’est pas déplaisant – Joaquin Phoenix est toujours aussi étrange et Emma Stone charmante –, c’est fait avec un grand savoir-faire, mais c’est complètement dispensable. Woody a livré son film annuel. L’inspiration reviendra.

On retiendra…
Quelques gags font mouche. Joaquin Phoenix s’amuse et Emma Stone est très belle.

On oubliera…
Trop peu crédible, le film est embarrassé de ses clichés et développe un propos bien maigre.

« L’homme irrationnel » de Woody Allen, avec Joaquin Phoenix, Emma Stone,…

Cramoisi (Crimson peak)

« Crimson peak » : derrière ce titre étrange (qui se traduirait par « Sommet cramoisi ») se cache une histoire gothique de fantôme et de maison hantée. Un genre auquel Guillermo del Toro, le réalisateur génial des « Hellboy » et du « Labyrinthe de Pan », semblait prédestiné. Il s’y attaque avec sérieux, respect et habileté.


Sérieux et respectueux
N’était l’apparition récurrente à l’écran d’un spectre, le réalisateur semble avoir contenu pour cette histoire sa fantaisie débordante (voire délirante). Obéissant à une forme classique (dans le sens mélioratif du terme), del Toro traite cette histoire de maison hantée et de secrets familiaux au premier degré, se reposant pour faire vivre cette histoire sur les interprétations impeccables de Mia Wasikowska et Tom Hiddleston, dont le physique convient parfaitement à ces rôles archétypaux de baron séducteur mais maléfique et de jeune rêveuse perturbée par des démons.
Cependant, trop respectueux, tant dans ses références parfois trop explicites (l’indépassable (?) « Shining » en tête, mais aussi « La maison du diable »), que dans l’obéissance aux codes du genre, le fantasque Guillermo del Toro s’est peut-être montré trop sage en cherchant à s’inscrire dans le « canon » du film gothique. Le scénario de « Crimson peak » est très bien construit mais est mis en scène avec une telle attention qu’il se devine quelque peu à l’avance. Ainsi, la révélation du grand secret du film n’étonnera ainsi personne.

Beau et horrible
Et pourtant, Guillermo del Toro réussit quand même son coup. S’appuyant (c’est sa signature) sur des effets spéciaux traditionnels et des décors réels, le film diffuse un charme enchanteur, et fait naître une émotion qu’aurait noyé le numérique. L’effroi est d’autant plus vif lorsqu’il est provoqué par des effets simples, quasi forains, dont le réalisateur use avec habileté.
« Crimson peak » est surtout d’une beauté magnifique. Le manoir où se déroule la majorité de l’action est une collection de bonnes idées de décor, habilement exploitées, à l’image de ce gisement d’argile qu’exploite le baron et dans lequel s’enfonce le manoir. Le rouge de cet argile s’immisce partout dans le manoir et envahit peu à peu l’écran, jusqu’à un final très sanglant, surprenant car flirtant avec le gore. C’est assez douloureux à regarder, et pourtant c’est sublime. La très belle musique de Fernando Velazquez ajoute encore à l’émotion du final.
A la conclusion du film, le charme a opéré : saisi par la beauté macabre de cette histoire, on a déjà envie d’y refaire un tour. Ce qui est un marqueur certain de la réussite du long-métrage (et une caractéristique de tous les films de del Toro).

On retiendra…
La beauté du film, qui tient à ses décors fabuleux, à sa mise en scène soignée et sa superbe bande originale. Le final gore.

On oubliera…
Le scénario ne ménage aucune réelle surprise, inscrivant le film dans un respect du genre de la fiction gothique qui n’est que discrètement détourné.

« Crimson peak » de Guillermo del Toro, avec Mia Wasikowska, Tom Hiddleston, Jessica Chastain,…