Il est
partout. Ce pourrait être un modèle de stakhanovisme artistique. Connu et
reconnu pour ses bandes-dessinées, Joann Sfar écrit aussi des romans, des
romans jeunesse, dirige une collection pour Bayard, se fait commissaire
d’exposition, produit des émissions de radio, commente l’actualité via des
caricatures ou la publication de journaux intimes… et réalise aussi des films.
Après avoir adapté à l’écran la vie de Gainsbourg puis sa propre série de BD
« Le chat du rabbin », Sfar livre une nouvelle adaptation de « La
Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil », roman policier de
Sébastien Japrisot publié en 1966.
Amusement
Son goût
pour l’éclectisme ne peut expliquer à lui-seul l’intérêt de Sfar pour ce projet
cinématographique. Sfar a dû voir, dans le trouble ménagé par ce polar où
l’héroïne se retrouve plongée dans un état de confusion extrême au point que
délire et réalité se confondent, un espace d’expérimentations propice aux
inventions visuelles et aux jeux avec le spectateur. C’est en tout cas ce vers
quoi est tournée sa réalisation.
Le jeu, on
le retrouve dès le titre à rallonge du film (qui fait très
« Jeunet »). Par deux fois, Sfar le fera défiler lettre après lettre
à l’écran avec un plaisir évident. Sfar s’amuse aussi à « bédéiser » le
montage en utilisant dans des séquences de split screen les différents écrans
comme autant de cases de BD. C’est inventif, intéressant et particulièrement
approprié à cette histoire de machination où tout semble déjà avoir été joué
d’avance.
La
photographie collectionne les nuances de rouge et la bande originale les
sonorités des années 60 (mais pas que). Citons encore Biolay, inquiétant et
troublant, qui s’amuse aussi – et il le fait remarquablement bien – dans son
rôle manipulateur.
Superfétatoire
Mais quelque
chose ne passe pas. A force d’être ludique, Joann Sfar échoue à conférer un
sérieux, une importance, à cette histoire. Les qualités relevées plus haut
apparaissent comme des affèteries. Dès le début, les cassures systématiques des
séquences, les sautes dans le temps, font que le film crie sa nature de puzzle.
Cette artificialité semble vite totalement vaine et n’avoir d’autre but que
d’embrouiller le spectateur. On devine que le montage est ainsi pensé pour
recréer chez le spectateur l’état de confusion de son héroïne… mais l’étrangeté
des séquences aurait suffi à créer ce trouble. D’où l’impression d’une
sophistication superfétatoire, tape-à-l’oeil, parfois maladroite.
Malgré
tout, le film n’est pas déplaisant à suivre… jusqu’à sa conclusion précipitée.
Non content d’éclaircir, donc de tuer, tous les mystères travaillés avec tant
de soin par la mise en scène et le montage, cette fin s’avère aussi
complètement tirée par les cheveux. Cette grande explication finale abracadabrante
a tout d’une arnaque. Le coup est dur, et donne l’impression que « La dame
dans l’auto avec des lunettes et un fusil », jusque-là très prometteur,
s’est perdu quelque part au montage : dommage.
On retiendra…
Les différents jeux dont le
montage BD, le trouble inquiétant du début, l’interprétation de Biolay.
On oubliera…
Le film a été inutilement
complexifié au montage, pour s’achever sur une fin levant tous les mystères
mais très peu crédible.
« La dame dans l’auto
avec lunettes et un fusil » de Joann Sfar, avec Freya Mavor, Elio Germano,
Benjamin Biolay,…
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