Yirminadingrad.
Un nom si compliqué qu’il demande de s’arrêter et de se consacrer à son
déchiffrement. Yirminadingrad, c’est la ville monstre, située quelque part en
Europe de l’Est, qui est le cadre, le décor, le personnage principal des 21 nouvelles
écrites par Léo Henry et Jacques Mucchielli dans « Yama Loka
Terminus » (sous-titré « Dernières nouvelles de Yirminadingrad »),
paru chez Dystopia (qui a racheté les droits et les ouvrages de son premier
éditeur, L’Altiplano).
Se jouer des frontières
« Yama Loka Terminus » ressemble à un
recueil de nouvelles. Nouvelles extrêmement diverses, où Léo Henry et Jacques
Mucchielli explorent tous les territoires connus de la fiction, et en expérimentent
de nouveaux. Aucune des 21 textes n’est semblable au précédent : par
exemple, d’une nouvelle à l’autre, la narration passe de la première personne
du singulier à la troisième, puis à la deuxième. Ou mélange les trois à la
fois, dans un texte très inventif qui se suit sur trois colonnes en parallèle
(« Tarmac – Penthouse/Dernier rapport de télésurveillance »).
« Yama Loka Terminus », c’est une nouvelle surprise à chaque nouvelle.
Bref, des nouvelles qui n’oublient jamais d’être nouvelles : la lecture est
donc hautement stimulante. Pour autant, le recueil est loin d’être chaotique. Malgré
cette multiplicité extrême des formes et
des sujets, tous les textes sont liés par Yirminadingrad.
Yirminadingrad
ressemble à une mégalopole. Une ville extrêmement diverse, où Léo Henry et
Jacques Mucchielli synthétisent tous les territoires d’Europe de l’Est, pré comme
post-soviétique, et en créer donc un nouveau. Aucune des 21 nouvelles ne
présente un plan précis de la ville et de ses quartiers, ni ne l’inscrit dans
une époque datée : par exemple, la ville est aussi bien décrite de l’extérieur
que de l’intérieur d’un ses quartiers. La ville se perçoit par fragments, par
le biais de ses citadins qui ne sont pas moins recomposés et multiples qu’elle,
et qui l’habitent autant qu’ils la rêvent (la superbe « Escale d’urgence
(matériaux pour un adultère) »). Les nouvelles s’agencent et se répondent
l’une l’autre, ont parfois des points communs, semblent à certains moments dessiner
une temporalité (en particulier la fin du recueil).
De ce fait,
la lecture de « Yama Loka Terminus » ne ressemble pas vraiment à
celle d’un recueil de nouvelles. Les intrigues développées dans le nouvelles se
terminent souvent abruptement, voire paraissent incomplètes (« Power
Kowboy »). Mais les correspondances entre les nouvelles font de chaque
texte autant de chapitres d’un roman dont le personnage principal serait la
ville de Yirminadingrad. Son histoire serait celle de l’Europe, un continent
aux racines multiples et profondes, où surgissent toutes les dérives politiques
(« Histoire du captif et du prisonnier »), religieuses, artistiques (« Evgeny,
l’histoire de l’art et moi »), sociales et technologiques (la terrifiante
vision du travail de « Demain l’usine »)…
Pas une des
21 nouvelles n’est anodine, futile, dispensable. La plupart des textes sont
très marquants, et du fait de leur (très lâche) interdépendance, il est
vraiment difficile de choisir ses préférées… ce qui est plutôt rare dans un
recueil ! Léo Henry et Jacques Mucchielli se jouent de toutes les frontières, et en particulier littéraires, avec cet ouvrage inclassable, au souvenir persistant.
« Yama Loka Terminus, dernières nouvelles de Yirminadingrad »
de Léo Henry et Jacques Mucchielli, Dystopia
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