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Annoncé depuis plusieurs années, accompagné
d’une campagne promotionnelle très bien menée (car calibrée pour que se répandent
les rumeurs les plus folles), l’œuvre la plus ambitieuse à ce jour de Lars von
Trier est enfin entièrement disponible, en deux volets, au cinéma.
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Aux lecteurs qui ne le connaîtraient pas encore,
une anecdote suffit à se faire une idée du personnage qu’est Lars von Trier (ou
LVT) : il est le seul à déclarer publiquement qu’il est « le meilleur
réalisateur du monde » !
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Ce n’est qu’une de ses (innombrables)
provocations… Pour son treizième film, LVT a voulu raconter la vie sexuelle
d’une femme jusqu’à 50 ans, nommée Joe et interprétée d’abord par Stacy Martin
puis par Charlotte Gainsbourg. Avec cette histoire divisée en huit chapitres,
LVT a déclaré avoir inventé un nouveau genre cinématographique, le « digressionisme ».
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Le digressionisme ! Mais que cela
pouvait-il bien être ? Le procédé se révèle des plus simples : il
s’agit de raconter une histoire… par le biais de digressions. Pour n’en citer
que quelques-unes : la pêche à la mouche, Edgar Allan Poe, le schisme de
1054, le nœud de Prusik, Jean-Sébastien Bach,… seront tour à tour convoqués
pour faire progresser le récit. Un procédé très littéraire, qui, au cinéma, se
traduit en pléonasmes. Un exemple : lorsque Joe parle des chiffres 3 et 5,
ceux-ci s’inscrivent sur l’écran (comme dans un PowerPoint)…
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Une révolution cinématographique. Une idée de
mise en scène renversante. Un coup de génie. Voilà ce que ce procédé n’est pas.
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Tu oublies que LVT s’amuse aussi, beaucoup, à
décevoir ses spectateurs – il y a donc un certain humour derrière la platitude
du procédé…
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…qui n’en reste pas moins raté puisqu’il
apparait rapidement comme plus agaçant que ludique. Surtout, et c’est beaucoup,
beaucoup plus grave, LVT utilise certaines de ses digressions pour exprimer des
propos monstrueux et obscènes. La provocation, lorsqu’elle est comme ici
complètement gratuite, ne provoque rien, si ce n’est de la consternation.
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La provocation, justement, a semble-t-il été le
maitre-mot lors de l’élaboration de ce film, jusqu’à son montage. Un sobre
carton introduit les deux volets, qui annonce que la version projetée du film a
été « censurée » et ne correspond pas à la vision initiale de LVT.
Tels qu’on peut les voir en ce moment au cinéma, les deux parties de «
Nymphomaniac » sont interdites aux moins de 16 ans et forment un film de 4
heures. A Berlin, puis peut-être à Cannes, seront projetés les versions « non-censurées »
des deux volets, aboutissant à un film de 5h30.
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Que l’on n’a absolument pas envie de voir !
Beaucoup de scènes, surtout dans la partie 2, sont déjà insoutenables de
crudité. On sent bien que LVT voit son film comme étant d’abord une comédie.
Sauf que LVT ne peut être joyeux. Toujours aussi dépressif et mélancolique, il
filme cette histoire avec une froideur terrible. La lumière qui éclaire ces
deux volumes est semblable aux néons des blocs opératoires. Les couleurs sont
souvent ternes, l’image transpire une désolation qui contraste violemment avec l’humour
voulu de certaines séquences.
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« Nymphomaniac » n’est pas du tout un
film érotique. Ce qui intéresse LVT n’est pas l’acte sexuel puisqu’il filme ses
acteurs comme des animaux dans un abattoir. Ce qui l’intéresse, c’est de
montrer un individu quitter la société, se retirer du monde. Un parcours qui lui
parle, puisque c’est aussi le sien, lui qui refuse désormais toute entrevue
avec la presse, après avoir été déclaré « persona non grata » à Cannes
en 2011…
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Sur le même sujet, LVT avait signé le beau et
émouvant « Melancholia ». Mais à trop vouloir provoquer,
« Nymphomaniac » s’enfonce dans la noirceur et l’obscénité la plus
crue sans rien susciter d’autre que de la bêtise.
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Tout n’est pas raté pour autant. A certains
moments, des instants de beauté surgissent, où LVT renoue avec la force
« cosmique » de son cinéma, qui laisse penser que
« Nymphomaniac » aurait pu être bien autre chose que ce délire bête
et émétique. L’introduction du volume 1 pose une atmosphère qui suinte
l’horreur avant une rupture inattendue, et deux chapitres sont de vraies
réussites : « Mme H. », avec Uma Thurman, est une comédie très
grinçante, si ironique qu’elle en devient perturbante, « La petite école
d’orgue » avec son split-screen accompagné d’une polyphonie de Bach est le
seul moment où le procédé des digressions fonctionne. Enfin, le volume 2
présente un plan sublime et chargé d’émotion …
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Le seul qui vaille la peine de tout le volet 2
(!)…
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… lorsque Joe, après une ascension, découvre son
âme en haut d’une falaise. Ces moments, malheureusement, ne suffisent pas à
qualifier ce film d’ « inégal », puisque ils sont trop rares.
« Nymphomaniac » est plutôt inabouti, plein d’idées qui se révèlent
être autant d’arnaques, parachevé par une fin stupide. Si Lars von Trier
n’avait pas filmé cette histoire avec le ravissement d’un enfant découvrant un
gros mot, il aurait peut-être pu réussir son pari.
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En attendant, si les foules ne se déplacent pas pour voir son film (avec
raison), LVT n’a pas fini d’occuper l’espace médiatique, avec les projections,
et éventuellement sorties, des scandaleux volets non-censurés.
On retiendra…
A des moments, le film s’élève
et montre que la beauté ne lui était pas inaccessible. A des moments.
On oubliera…
A ce niveau-là, ce n’est plus
un pétard mouillé dont il faut parler, mais un pétard trempé. von Trier s’auto-massacre
et, tout à sa provocation, oublie de faire du cinéma.
« Nymphomaniac » de
Lars von Trier, avec Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin, Shia LaBeouf,…
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