Le nouveau
film de Bertrand Bonello, après l’éblouissant « Saint Laurent » en
2014, était attendu comme ses deux précédents films en compétition à Cannes
cette année. D’autant plus que son sujet semblait résonner, pour ne pas dire
coller, avec l’actualité puisque le film raconte l’exécution d’attentats
simultanés à Paris d’un groupe de jeunes terroristes. Bonello ne pouvait même
pas être accusé d’opportunisme puisque son film était écrit depuis 2011, et
annoncé avant les tragiques événements de 2015.
Le film n’a
finalement pas été sélectionné à Cannes, dans aucune section que ce soit, alors
qu’il était prêt pour le festival. Le signe d’une œuvre moins réussie qu’espérée
– ou d’un contenu politique dérangeant ? La réponse est maintenant
disponible dans les salles. (« Nocturama » connaîtra bien une
compétition, celle du festival de San Sebastián dans deux semaines.)
Mystère et tension
C’était
particulièrement manifeste dans « Saint Laurent » : Bonello est
peut-être le réalisateur français le plus inspiré par Kubrick. On retrouve dans
« Nocturama » cette toute-puissance accordée à l’image, qui fait penser à « 2001 :l’odyssée de l’espace ». Le film de Bonello s’ouvre ainsi longuement sur les
préparatifs quasi chorégraphiés d’un groupe de jeunes très disparates dans le métro
parisien, sans qu’aucun d’entre eux ne prononce une parole. On saisit peu à peu
que ces jeunes sont tous liés et préparent des actes violents. Le film, qui
était jusque-là très froid dans sa description plate et sans commentaire (mais
très bien filmée) des déplacements des personnages, fait naître peu à peu une
tension, qui montera comme un lent crescendo jusqu’à la terrible conclusion du
long-métrage.
Les
agissements des uns et des autres et leurs liens sont expliqués par quelques
séquences en flash-back très bien montées, puisqu’elles ne font jamais retomber
l’intensité du film, et dévoilent sans jamais le tuer le mystère qui entoure
les actes qui sont en train de se préparer. Un art du montage qui s’était déjà
exprimé dans « Saint Laurent » et « L’apollonide » et qui
impressionne encore.
Déboussolement
Dans la
deuxième partie du film, ces jeunes devenus terroristes, se cachent dans un
Grand Magasin, pour y attendre la fin de la nuit et échapper à la traque des
forces de l’ordre, espérant reprendre au matin leur vie normale. Le film s’immobilise
mais la tension continue de croitre car, confrontés bien malgré eux aux mirages
de la société de consommation, les comportements de chacun des jeunes vont
petit à petit se dérégler, dans une succession de scènes à la symbolique de
plus en plus frappante, où le réalisateur déploie tout son art de la composition
visuelle.
Le propos
du film se fait alors évident. Bertrand Bonello met en scène une jeunesse
déboussolée, sans repères, qui se retourne contre la société dans laquelle elle
ne se reconnait plus, mais qui la fait rêver pourtant, dans un mélange d’attraction
et de répulsion que l’attente dans les différents espaces du magasin met très
bien en valeur. Le réalisateur veut parler de la jeunesse et non pas d’une
jeunesse, puisque son groupe de personnages rassemble (d’une manière qu’il est difficile
de ne pas trouver complètement artificielle) toutes les catégories sociales,
toutes les origines, toutes les couleurs de peau, leur seul point commun étant
qu’ils sont perdus.
Bonello se fait ici piéger par ses intentions :
à vouloir trop universaliser, s’élever au-dessus des contextes particuliers, il
est tombé dans l’écueil de la métaphore décollée du réel, vidée de tout sens.
Mais il commet aussi une autre erreur, beaucoup plus grave : il s’est
trompé de véhicule pour sa métaphore.
Erreur de lecture
Par la
force de son cinéma, on s’identifie à ces personnages, et on se met à craindre
avec eux pour leur vie et à espérer qu’ils parviendront sains et saufs jusqu’à
la fin de cette nuit. Et c’est là que le film se heurte de plein fouet à l’actualité
et qu’il devient hautement perturbant. Car il nous fait adhérer à la cause de terroristes. La fin du film, qui est par
ailleurs un extraordinaire moment de cinéma, formidablement bien montée,
parcourue par une tension folle, sera à ce titre particulièrement révélatrice :
il devient indéniable que Bonello se range aux côtés de ses jeunes terroristes,
dont il explique les agissements par leur détresse, qui n’est pas du tout
entendue par la société.
Mais après
les attentats du 13 novembre, comment Bonello ose-il encore nous raconter ça ?
Comment peut-il nous montrer la jeunesse poser des bombes dans Paris et
exécuter froidement des parisiens alors que c’est justement la jeunesse qui a
été massacrée par le terrorisme ? « Nocturama » apparaît alors
complètement raté, l’idée-même du film ressemble à une erreur, à une mauvaise
lecture de l’état du actuel des choses. Bonello voulait raconter le désarroi de
la jeunesse comme Gus van Sant l’avait fait dans « Elephant ». Mais
en choisissant d’en faire des terroristes, il vide de toute substance son film
et son message.
C’est donc
avec un sentiment très partagé que l’on ressort de cette séance. Impressionné
par la tension, l’émotion, la beauté qui se dégagent du film. Sur le plan
strictement formel, c’est un œuvre de maître. Mais abasourdi par la vacuité du
sens de cette œuvre, extrêmement dérangeante. « Nocturama » est un
film passionnant à voir, qui fait beaucoup réfléchir, une œuvre dont on se
souvient, mais c’est indubitablement un film raté.
On retiendra…
La réalisation très belle et
très puissante qui crée une incroyable tension du début à la fin du film et
multiplie les trouvailles visuelles. La musique, excellente.
On oubliera…
« Nocturama » visait
à la métaphore très symbolique, mais ne tient au final aucun discours cohérent,
se vide de son sens, et va même jusqu’à se tromper sur ce qu’il raconte.
« Nocturama » de
Bertrand Bonello, avec Finnegan Oldflied, Hamza Meziani, Manal Issa,…
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