mardi 4 novembre 2014

L'éternité et un jour (Trois oboles pour Charon)

Une claque ! La lecture des premières pages de « Trois oboles pour Charon » est un ébahissement. Il ne peut pas en être autrement devant une écriture aussi frappante, à l’incroyable force d’évocation, riche et profonde mais pourtant d’une fluidité sans pareille, qui happe littéralement l’attention du lecteur. C’est magnifique. Je n’avais pas découvert une telle puissance stylistique dans la littérature de l’imaginaire depuis « Janua Vera » de Jean-Philippe Jaworski. Cette langue incroyable donne l’impression de redécouvrir toutes les situations qu’elle décrit, apporte une originalité à toutes les descriptions. Après celle de Jaworski et Niogret, l’écriture de Franck Ferric affirme encore une fois le fait que la littérature crée sa propre nécessité : le style permet d’imposer n’importe quel texte, même ceux qui ne sont pas follement originaux.


Vivre, mourir, recommencer
Mais qui donc est Franck Ferric ? L’auteur, qui signe là son premier roman dans la collection Denoël-Lunes (mais qui avait déjà publié plusieurs textes aux Editions du Riez) est assurément la plus belle découverte littéraire de cette année dans la sphère de l’imaginaire.
Dans « Trois oboles pour Charon », Ferric raconte les errances d’un homme à travers les guerres de toutes les époques. Cet homme ne cesse de revenir à la vie année après année, siècle après siècle, et toujours au milieu d’un combat. Il s’extraie de terre tel un enterré par erreur et finit invariablement tué par un coup mortel, victime répété de guerres qui ne le concernent pas. Le nautonier des Enfers, Charon, lui refuse en effet le passage du Styx : il faut pour cela payer les trois oboles du titre. Cet homme, parce qu’il n’a d’autre choix que de boire les eaux du Léthé à chacun de ses séjours aux Enfers, ne se souvient plus de son histoire, oublie tout de ses vies passées à chaque résurrection, et a perdu jusqu’à son nom. Cependant, si son esprit est amnésique, son corps, lui, se souvient.
Il est fort dommage que le quatrième de couverture dévoile l’identité du personnage principal du roman, preuve supplémentaire qu’il faut toujours lire les résumés de quatrième de couverture… à la fin de la lecture de tout ouvrage (précepte que j’ai comme d’habitude, et heureusement, appliqué ici). Après le style avec laquelle elle est racontée, l’intrigue développée par Franck Ferric – qui fait penser immédiatement au scénario du film « Highlander » – tire avant tout son intérêt des effets de dévoilement successifs. A vrai dire, une fois que le héros aura recouvré toute sa mémoire, le roman perdra un peu de sa puissance. Certes, il fallait bien montrer que l’éternité, c’est long… mais le roman regagnera bien vite de l’intérêt lorsque peu à peu, la puissance symbolique du héros s’agrandira jusqu’à en faire une quasi-allégorie.
En définitive, Franck Ferric n’est pas passé loin du chef-d’œuvre. Si on regrettera que l’intrigue du roman ne soit pas plus riche, on ne s’est par contre toujours pas remis de la force de cette écriture. Avec « Trois oboles pour Charon », Franck Ferric réalise une entrée fracassante dans la collection Denoël-Lunes d’encre.

« Trois oboles pour Charon » de Franck Ferric, Denoël-Lunes d’encre

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