Ecrire sur
la figure d’YSL au cinéma requiert désormais une attention soutenue : il
faut veiller à ne pas perdre le lecteur entre Yves Saint Laurent (le
couturier), « Yves Saint Laurent » (le film de Jalil Lespert, sorti
en janvier de cette année), et « Saint Laurent » (le film de Bertrand
Bonello, sorti en septembre). Après le doublon des adaptations de « La
guerre des boutons » en 2011, 2014 voit de nouveau s’affronter dans les
salles deux films français au sujet identique…
En sortant
après le film de Lespert, il était à craindre que la projection du film de « Saint
Laurent » ne s’apparente pour le spectateur à un long exercice de
comparaison… Le réalisateur de « L’apollonide » (2011) allait-il réussir
à imposer son film comme une œuvre unique ?
Fascinant mystère
La question
devient futile dès la première minute de « Saint Laurent ». Il n’en
faut en effet pas plus à Bonello pour atomiser l’œuvre de Lespert, et la
reléguer au rang de téléfilm. « Saint Laurent » boxe dans une tout
autre catégorie.
Curieux
constat : le doublon cinématographique a eu du bon. Comme il le déclare
lui-même, savoir que son film sortirait quelques mois après « Yves Saint
Laurent » a complétement libéré Bertrand Bonello de toutes les contraintes
inhérentes au genre. « Saint Laurent » n’est pas un biopic
didactique, académique et emphatique, mais un portrait fascinant, mystérieux,
irrésolu.
L’excellente
idée de Bertrand Bonello est de ne pas chercher à expliquer le génie du couturier.
Son film ne retrace que dix ans de sa vie (1967-1976) et ne fera aucunement
référence à ses origines ou à son ascension. A tel point que la vision du film de
Jalil Lespert peut s’avérer utile pour tout spectateur ne connaissant pas la
trajectoire de ce géant de la mode – ou plutôt, aussi utile que la lecture d’une
présentation wikipédia. « Saint Laurent » ne s’embarrasse pas de
scènes d’exposition, et étant construit comme une suite de souvenirs proustiens
(leur évocation ne suit pas l’ordre chronologique), il est très aisé de se
faire submerger par ce flot de souvenirs dès le début du film… ce qui arrivera
tôt ou tard de toute manière.
« Saint
Laurent » aligne de séquences d’une beauté formelle incroyable. Betrand
Bonello avait démontré depuis longtemps son talent pour la composition d’images,
mais atteignait à chaque fois une beauté si étudiée qu’elle paraissait toujours
très froide. Ici, la construction du film, ce collage-couture de séquences qui
saura provoquer plusieurs moments de vertige, et dont le point focal est une
figure qui restera floue jusqu’au bout, amène enfin de l’émotion dans son
cinéma. La rigueur formelle des
compositions, le mystère central et l’inscription dans les années 70 donne même
à Yves Saint Laurent des allures kubrickiennes.
Coups d’éclat
Bertrand
Bonello surprend par sa direction d’acteur : on n’aurait jamais pu
soupçonner auparavant que Gaspard Ulliel soit capable d’une telle
interprétation, de même qu’on n’avait encore jamais vu ainsi Jérémie Rénier ou
Louis Garrel. Seule Léa Seydoux résiste à ce constat, malheureusement, son
personnage étant trop secondaire.
Le film est
parsemé de coups d’éclat, tel que cette réunion d’affaires avec des américains
où une interprète traduit simultanément toutes les conversations dans les deux
langues, créant un flot ininterrompu de paroles transformant les dialogues en
abstraction pure. « Saint Laurent » donne aussi réellement à voir le
fonctionnement d’un atelier de couture – ce que ne montrait absolument pas le
film de Jalil Lespert.
Alternant entre ivresse et noirceur insondable, d’une incroyable
beauté plastique et sonore, le « Saint Laurent » de Bonello est une œuvre
d’une puissance redoutable. Le paradoxe de cette évocation, la seule qui soit
digne aujourd’hui du couturier, est qu’elle n’a pas été approuvée par la
succession d’Yves Saint Laurent (l’absence de contribution de la fondation
Bergé-Yves Saint Laurent rend à ce propos la réussite du film plus héroïque
encore)… Est-ce la preuve que la fiction de Bonello a su saisir quelque chose
au-delà de la légende ?
On retiendra…
A travers la figure irrésolue
d’Yves Saint Laurent, Bertrand Bonello atteint enfin ce qui manquait jusqu’à
présent à son cinéma : l’émotion
On oubliera…
Bien que présente, l’émotion est
encore trop souvent masquée par la froideur.
« Saint Laurent » de
Betrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel,…
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