Le cinéma
iranien s’est-il déjà aussi bien porté ? Alors même que les réalisateurs iraniens
sont confrontés à la censure et que le régime n’hésite pas à opprimer ceux qui
lui paraissent trop libres (au moyen de la prison, de l’interdiction de
tourner, de l’assignation à résidence) ! La dictature n’empêche pas le
cinéma iranien d’être l’un des meilleurs au monde. Le nouveau chef de file de
ce cinéma adoubé de festival en festival est Asghar Farhadi. En 2011, son film « Une
séparation » a connu un succès phénoménal, tant public (un million d’entrées
en France !) que critique (Ours d’or et double prix d’interprétation pour
l’ensemble de la distribution (!), César et Oscar et du meilleur film
étranger). Son distributeur français l’a convaincu de tourner son nouveau film
hors de l’Iran : en France, dans la banlieue parisienne. « Le passé »
est le premier film de Farhadi à être sélectionné à Cannes.
Maîtrise invisible
Ce deuxième
film de la sélection officielle à connaitre une sortie nationale contraste très
fortement avec le premier, « Gatsby le magnifique » : la mise en
scène d’Asghar Farhadi est en quelque sorte l’antonyme de celle de Baz Luhrmann.
Là où Luhrmann en rajoutait dans les effets de mise en scène, Asghar Farhadi, dans
sa quête de vérité, se refuse tout cadrage ou mouvement de la caméra trop
maitrisé (excepté un plan-séquence, à la fin). Farhadi est bien un cinéaste de
l’hyper maîtrise, mais une maitrise qui cherche à se soustraire à elle-même. Il
tourne longtemps et après plusieurs de nombreuses semaines de répétition, mais
ne veut pas que cette maitrise se remarque à l’écran. Le travail, que ce soit celui
des acteurs ou celui du metteur en scène, doit atteindre une vérité telle… qu’il
le rende invisible ! Est-il donc utile de préciser que les acteurs sont
formidables ? L’excellent Tahar Rahim montre une facette encore inédite de
son jeu, et Bérénice Bejo trouve là son plus grand rôle. On apprécie d’ailleurs
particulièrement l’ouverture du film, qui semble faire explicitement référence
à « The artist » - sans que l’on puisse en être totalement sûr,
puisque le rôle était au départ prévu pour Marion Cotillard.
Sous haute tension
La critique
définit les films d’Asghar Farhadi comme des « thrillers sociaux ». Bien
que d’habitude associé aux films d’espionnage, force est de constater que le
terme de thriller convient très bien à ce cinéma hyper tendu. « Le passé »
est parcouru par une tension inouïe, qui s’exprime dans chaque situation, chaque
dialogue. A tel point qu’on ressort de la projection dévasté.
Nul doute
qu’avec « Le passé », Asghar Farhadi réalise son meilleur film. Il semble
avoir atteint la quintessence de son cinéma : même en ayant tourné en France,
dans une langue qu’il ne maîtrise pas, Farhadi approfondit des thèmes déjà
présents dans « Une séparation » et atteint une tension
inespérée. Pour un peu, cette tension, qui parcourt le film et ne cesse de s’étirer,
scène après scène, est à la limite de faire basculer le film dans une
caricature. La manière de faire des films de Farhadi, unique, relève d’un
équilibre incroyablement complexe. Convaincra-t-il le jury de cette
soixante-sixième édition ?
On retiendra…
La tension qui rend le film
émotionnellement très fort, la direction d’acteurs époustouflante, la très
belle photographie.
On oubliera…
Si Farhadi ne tombe jamais
dans la caricature, celle-ci n’est – parfois – jamais loin.
« Le passé » d’Asghar
Farhadi, avec Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa,…
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