samedi 7 avril 2012

N'en gardez que la moitié (Hunger games)

Avec 30 millions d’exemplaires vendus à travers le monde (mais seulement 300 000 en France), la trilogie « Hunger games » écrite par Suzanne Collins allait forcément débarquer au cinéma. Présenté comme le successeur des sagas « Harry Potter » et « Twilight », parce qu’adaptation de romans jeunesse à succès, « Hunger games » n’a en fait que peu de rapport avec ces films-ci. Réalisé par Gary Ross, dont le dernier film en tant que réalisateur, « Pur sang, la légende de Seabiscuit » remontait à 2003, « Hunger games » s’annonçait comme un banal blockbuster de plus, où la motivation artistique allait une fois de plus être écrasée par les énormes attentes commerciales à l’origine du projet. Un exercice d’équilibriste supplémentaire mené de manière à satisfaire les fans et intéresser le public néophyte, où la singularité artistique d’un réalisateur n’est pas la bienvenue. Suite à la projection, toutes ces craintes se sont confirmées, et le film a pulvérisé le box-office nord-américain à un niveau dépassant toutes prévisions (tout du moins d’un point de vue européen où le film rencontre un succès bien moindre). Cependant, « Hunger games » se distingue par quelques surprises qui le rendent bien plus intéressant qu’espéré.



Dualité
Le film est clairement divisé en deux parties, la première s’achevant au moment de l’entrée dans l’arène des vingt-quatre « tributs ». La continuité de l’histoire et du montage réfute une telle séparation du film en deux, mais – et c’est ce qui fait toute la singularité du long-métrage – la frontière est toutefois bien nette au niveau de la qualité. Au point que l’on pourrait presque dire qu’une moitié du film relève du nanar, jusqu’à ce que de façon totalement inattendue la plupart des défauts qui alourdissaient la mise en scène trouvent leur justification et autorisent, enfin, le spectateur à être emporté par l’histoire.

Où est passé le bon goût à Hollywood ?
          Le premier de ces défauts est une laideur visuelle. Le kitsch conquiert de plus en plus de blockbusters depuis l’avènement des films de super-héros. A ce niveau, « Thor » de Kenneth Branagh reste pour le moment la référence a priori indépassable, mais la direction artistique de « Hunger games » est parfois tout aussi mauvaise. Celle-ci visait indubitablement à se moquer de la préciosité des riches habitants du Capitole par rapport aux pauvres des districts. Mais verser à un tel point dans le ridicule, loin d’être audacieux, relève du suicide artistique. La scène la plus emblématique intervient lors du défilé des chars. Les deux héros, nous avait-on prévenus quelques minutes auparavant, n’allaient pas être costumés de manière aussi grotesque que leurs concurrents. Sauf que c’est exactement l’inverse qui se produit.
La description des districts ne s’avère pas vraiment plus réussie et reste très stéréotypée. De plus, elle n’est absolument pas crédible : les habitants sont censés y mourir de faim, mais aucun signe physique de privations ne se lit sur leurs visages. Trop dur pour le jeune public ? Aux Etats-Unis, le film devait à tout prix éviter une classification plus restrictive que PG-13.

Les deux faces d’une même pièce
L’autre défaut majeur de cette première partie est sa mise en scène. La caméra ne fait que de bouger, de manière complètement inutile, même lorsque une grande fixité aurait été de mise, comme au moment du tirage au sort. Ce montage rapide et ces remuements du champ agacent déjà, mais il faut aussi compter sur des effets de soulignements qui brisent complètement l’efficacité de certaines scènes. Par des mouvements insistants de la caméra vers une pomme au moment de l’évaluation de Katniss, le spectateur devine avec plusieurs minutes d’avance la conclusion de la scène.
          Heureusement, tout se renverse lors de l’entrée dans l’arène. C’est peut-être la meilleure scène du film : la compétition vient d’être lancée, les adolescents se ruent vers des sacs de provisions et s’entretuent. Le montage rapide et les mouvements dynamiques du champ prennent alors tout leur sens et se révèlent extraordinairement efficaces pour retranscrire la panique qui s’empare des concurrents – et éviter une représentation trop frontale de la violence. Le film est lancé. Le spectateur peut enfin se plonger dans l’histoire et arrêter de buter devant les images qui lui sont proposées. Même la musique, signée James Newton Howard, semble s’améliorer dans cette deuxième partie !

L’abyme pour éviter l’abîme
        Le film doit beaucoup à Jennifer Lawrence, la révélation de l’excellent « Winter’s bone ». Elle reprend d’ailleurs dans « Hunger games » le même rôle d’adolescente aux responsabilités d’adulte. Lawrence est une vraie actrice, et crève l’écran par rapport aux autres acteurs du film, trop lisses.
        L’histoire d’ « Hunger games » est un étrange assemblage dont les fondations sont à chercher du côté mythe du minotaure et de…  la télé-réalité. Le film aurait peut-être dû mieux exploiter l’aspect « spectacle télévisuel » de l’histoire dans sa deuxième partie. Les interventions dans le jeu du producteur de l’émission, qui manipule la réalité des tributs pour maximiser l’audience, auraient pu faire écho à l’artificialité des fictions audiovisuelles. Afin de contenter une partie de l’audience, en cours de partie les règles du jeu sont changées, autorisant désormais la victoire de deux tributs à condition qu’ils appartiennent au même district. Le film n’échappe alors pas à une histoire d’amour entre les deux héros du film, mais une histoire d’amour qui aurait pu être ambiguë, c’est-à-dire complètement artificielle : les deux héros savent très bien que leur survie dépend de leur popularité, donc de cette relation « commandée ». Une sorte de mise en abyme du film lui-même, car cette histoire d’amour est attendue par les spectateurs du film et doit être rendue crédible par les deux acteurs, Jennifer Lawrence et Josh Hutcherson. Certes, la fin du film laisse à penser que cette ambiguïté n’existait que dans l’esprit du spectateur attentif et pas dans celui des scénaristes, mais le sous-texte existe indéniablement. Qu’un blockbuster se prête à l’interprétation n’est pas courant, et cela confirme donc la relative singularité de « Hunger games ».
               

Réalisateur de seconde équipe
       Pour finir, le film a aussi comme particularité d’avoir comme réalisateur de seconde équipe une personnalité a priori bien plus expérimentée et talentueuse que le réalisateur du film : à savoir, l’hyperactif Steven Soderbergh. Une telle situation nous permet d’en savoir un peu plus sur le rôle de ce second réalisateur, censé tourner les scènes du script où n’interviennent pas les acteurs principaux. Comme ailleurs, il est impossible de savoir quelles scènes ont été dirigées par Gary Ross et quelles autres par Steven Soderbergh : « Hunger games » ne ressemble jamais à un film de Soderbergh (malgré l’éclectisme de ce dernier). Justement : de cette impossible distinction, on en déduit que le réalisateur de seconde équipe doit calquer sa mise en scène sur celle décidée par le réalisateur, calquer au point de se faire oublier. Pourtant, vu l’expérience de Soderbergh par rapport à Ross, le premier a forcément dû influer sur la réalisation du second. Lequel des deux a décidé de filmer en secouant tout le temps la caméra ? Que ce soit ou non justifié, dans l'entreprise collective qu'est la création d'un film, c'est toujours le réalisateur qui est désigné responsable...

On retiendra…
La deuxième partie, l’interprétation de Jennifer Lawrence, plusieurs scènes d’action spectaculaires, un mélange étonnant entre le mythe du minotaure et la télé-réalité.

On oubliera…
Une direction artistique désastreuse dans la première partie, des acteurs pas toujours bons, une caméra gigotante.

« Hunger games » de Gary Ross, avec Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson,…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire