Depuis sa sortie au format poche, « La délicatesse » de David Foenkinos est un énorme succès en libraire. Bien que le projet d’adaptation par l’auteur lui-même soit antérieur à ce succès, celui-ci lui a apparemment ouvert toutes les portes lors de la production de son long-métrage, coréalisé avec son frère Stéphane Foenkinos. Fort de ses millions de lecteurs, on imagine aisément que David Foenkinos n’a eu aucun mal à convaincre acteurs et producteurs que son film attirerait des millions de spectateurs. Des acteurs aussi connus qu’Audrey Tautou et François Damiens, une compositrice renommée comme Emilie Simon ont ainsi cru à ce projet. Ils n’auraient pas dû.
Une évocation qui ne pardonne pas
En choisissant Audrey Tautou comme actrice principale (par ailleurs très bien), les deux réalisateurs ont sûrement donné une plus grande visibilité à leur film, mais ce choix a pour conséquence que « La délicatesse » se retrouve confronté dans l’esprit du spectateur au souvenir qu’a celui-ci de « La fabuleuse histoire d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet. Film autrement plus réussi, réalisé par un réalisateur autrement plus talentueux, et dont le succès a malheureusement engendré de nombreuses copies plus ou moins avouées dans le cinéma français. Un clonage auquel semble participer Audrey Tautou elle-même : ses choix de rôles, trop confortables pour elle, font qu’elle ne semble accepter de jouer que des personnages similaires à l’Amélie qui l’a rendue si célèbre.
Le dernier film en date à s’inspirer d’ « Amélie Poulain », ou plutôt à évoquer « Amélie Poulain » est donc « La délicatesse ». Mais « La délicatesse » est un premier film qui n’a pas les moyens de soutenir la comparaison/l’évocation. Les réalisateurs ont inséré à plusieurs moments du film ce qu’ils nomment des « passages oniriques » complètement ratés, qui apportent peut-être beaucoup au roman (je ne l’ai pas lu) mais qui ne passent pas du tout au cinéma, en tout cas pas sous cette forme-là : ainsi en va-t-il pour l’instant « onirique » du mariage s’achevant sur des photos de voyage se collant à l’écran, dans un plan digne des montages vidéos façon album photo proposés par des sites web.
Un roman pas assez trahi
Il y a beaucoup d’autres mauvaises idées qui font parfois passer « La délicatesse » pour un film amateur. L’adaptation n’aurait peut-être pas due être menée par l’auteur lui-même, qui n’a apparemment pas su se détacher suffisamment de son œuvre, à moins qu’il ne manque tout simplement d’expérience. Certains dialogues entre Audrey Tautou et François Damiens sonnent par exemple terriblement faux et artificiels. Des dialogues sûrement repris du roman, sans aucune adaptation ou trop peu.
Un autre exemple : à la suite d’une ellipse de plusieurs années, on découvre le personnage d’Audrey Tautou embauchée dans une entreprise suédoise. La caméra la suit déambuler dans les longs couloirs de celle-ci tandis qu’en voix-off Audrey Tautou explique au spectateur qu’elle a bu 1254 cafés depuis qu’elle travaille ici. « Ah non, corrige-t-elle, j’en ai bu 1253. Hier j’ai pris un thé ». Un commentaire qui n’a absolument aucun intérêt, n’apporte rien au film ni à l’épaisseur du personnage et est même carrément maladroit puisqu’à aucun moment du film on ne voit Audrey Tautou boire un café ou un thé. Ce genre d’anecdotes apporté au spectateur par le personnage principal lui-même est évidemment directement tiré d’ « Amélie Poulain ». Sauf qu’ici les réalisateurs n’en font rien, si ce n’est reprendre mot pour mot une phrase du livre. Ça fait peut-être plaisir aux lecteurs, mais les autres ne pourront que passer leur chemin.
Le film n’a en effet aucun intérêt pour qui n’a pas lu le roman, puisqu’en tant que produit cinématographique il est très mauvais. On se souviendra quand même du contre-emploi de François Damiens, qui pour la première fois joue normalement, sans essayer de faire rire, et ça lui réussit plutôt bien. Sinon, « La délicatesse » n’a rien à proposer, son scénario est inintéressant et déjà vu mille dois ailleurs. Cette histoire somme toute classique est peut-être racontée d’une manière très originale dans le roman. Mais cette originalité s’est envolée au cinéma.
Alors peut-être les lecteurs seront-ils intéressés de découvrir quelles images l’auteur lui-même a choisies pour retranscrire à l’écran son livre. Mais c’est au risque d’une grande déception.
On retiendra…
François Damiens impressionne : il peut jouer de façon sérieuse !
On oubliera…
Par contre, Audrey Tautou joue toujours la même chose. « La délicatesse » est trop bancal, contient trop de fausses bonnes idées pour n’être autre chose qu’un premier film raté. La musique, certes très bien, d’Emilie Simon ne correspond pas du tout au film.
« La délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos, avec Audrey Tautou, François Damiens,…