Voilà bien
un roman qui à sa lecture paraissait inadaptable… Classique instantané de la
science-fiction à sa parution en 2014, « Annihilation » de Jeff
VanderMeer raconte l’exploration d’une mystérieuse « zone X » aux
propriétés étranges, dans un récit très intelligent à mi-chemin de la
science-fiction et du fantastique, qui fait autant référence au
« Stalker » des frères Strougatski qu’à l’horreur lovecraftienne (et avec
même un soupçon de « La horde du contrevent » d’Alain Damasio –
référence qui doit plutôt être une coïncidence !).
Après avoir
lu le roman, Alex Garland, le réalisateur du génial « Ex machina »
(2015), s’est lancé dans son adaptation au cinéma, sans attendre la parution
des deux suites romanesques – « Annihilation » était en fait le
premier tome d’une trilogie. Quatre ans plus tard, le film est terminé et
montré au studio producteur Paramount, qui doute alors de sa rentabilité. En
conséquence, Paramount décide de ne le distribuer en salles qu’en Amérique du
Nord et en Chine, et le vend à Netflix dans le reste du monde. Le géant de la
SVOD s’est alors empressé d’estampiller le film comme l’une de ses
« créations originales », ce qui se qualifie au mieux de publicité
mensongère…
Captivant
Quel
dommage donc de ne pas le découvrir sur grand écran !
« Annihilation » est d’abord un grand spectacle visuel, avec une stupéfiante
direction artistique qui dévoile toute sa mesure lorsque le film pénètre dans
la fameuse zone X. Mettre en évidence l’étrangeté de ce territoire par ces
effets de « miroitement » (bonne utilisation du numérique) ou par le biais
de cette végétation très fleurie sont de très bonnes idées. Le décor va se
révéler d’autant plus toxique et inquiétant qu’il semble de prime abord
paradisiaque.
Surtout, le
film captive de bout en bout par son mystère, qui semble s’épaissir à chaque nouvelle
péripétie… et gagne d’autant en pouvoir de fascination. Un suspense s’établit
rapidement autour de la question : ces énigmes trouveront-elles une
explication ? Ce suspense tient malgré le choix très discutable de révéler
dès le départ que le personnage joué par Natalie Portman (qui excelle comme
d’habitude dans l’ambigüité) sortira, seul, de la zone X.
Par ce procédé
scénaristique, Alex Garland a tenté d’éviter de faire de son film un simple
« survival », mais paradoxalement il cède quand même aux poncifs de
ce genre. Le danger le plus mortel dans la zone X reste celui représenté par
ses monstrueux habitants, des bêtes féroces mutantes… ce qui est en définitive
un danger très banal (surtout lorsqu’une l’irruption du gros monstre se fait pile
à la conclusion d’une scène de dialogue) !
Le film
apparaîtra en fait assez pauvre aux lecteurs du roman – si Garland a des idées
« plastiques » quant à la représentation visuelle de la zone X, il
manque de vraies idées de mise en scène pour créer le malaise (hormis une, la
séquence traumatisante de « l’éviscération in vivo »). Le délitement
du groupe, la montée progressive de la folie, sa contamination par la zone X s’avèrent
finalement grossièrement représentés.
Le fin mot de l’histoire
Alex
Garland semble s’être beaucoup appliqué à multiplier les détails troublants et
les sens cachés au fil des séquences, ce qui est intellectuellement stimulant… mais
il n’a pas su se retenir de tout expliciter à la fin. Cette conclusion décevante
est le principal défaut du film. C’est le problème avec les mystères :
leur révélation est presque toujours décevante.
L’entrée
dans le phare et la confrontation avec l’altérité de la zone X est un moment de
bascule faisant explicitement référence à l’indépassable chapitre « Jupiter,
et au-delà de l'infini » de « 2001 : l’odyssée de
l’espace » (Kubrick étant le modèle évident de réalisation de Garland).
C’est toujours beau de voir des réalisateurs se confronter à l’irreprésentable,
mais la solution numérique adoptée ici par Garland n’est pas des plus
judicieuses. Ce pantin verdâtre auquel on ne croit pas une seule seconde n’est
absolument pas fascinant. C’est d’autant plus dommage que justement Alex
Garland avait parfaitement réussi à représenter une altérité et à lui conserver
une irréductible part de mystère à la fin d’« Ex machina »…
Tous ces
défauts ne sauraient faire oublier qu’ « Annihilation » reste en
l’état un film de science-fiction original et rare. Mais qui aurait pu être
bien plus que cela : lisez les romans.
On retiendra…
Fascinant, inquiétant, ce film
captive jusqu’à sa conclusion…
On oubliera…
… Conclusion qui déçoit en ce
qu’elle tue le mystère du film, qui s’avère moins original qu’il n’aurait pu
l’être.
« Annihilation »
d’Alex Garland, avec Natalie Portman, Oscar Isaac,…