La politique éditoriale de Disney
L’épisode
VIII de la saga « Star Wars » est le troisième film « Star Wars »
que l’on voit en trois ans. La sortie de la première trilogie s’était étalée
sur six ans (1977-1983), de même pour celle de la deuxième (1999-2005). Disney
va maintenir le rythme d’un film « Star Wars » par an jusqu’à au
moins 2020… Cette densité anormale de films explique peut-être en partie la
lassitude ressentie en sortant de la projection de ce nouveau long-métrage. En partie…
car « Les derniers Jedi » est sans conteste le plus mauvais des trois
films « Star Wars » produits par Disney.
En 2015, JJ
Abrams avait relancé la saga en lui restant très fidèle. Il avait
formidablement ressuscité l’esprit de la première trilogie (IV – V – VI), mais
quelque peu déçu sur l’absence réelle de nouveauté formelle et narrative
apportées à la saga. Un an plus tard, « Rogue One » de Gareth Edwards
avait répondu à ces déceptions en réalisant un film qui mettait à mal tous les
codes du film « Star Wars », faisant souffler un vent d’air frais dépoussiérant
cet univers.
Chargé de
prendre le relais de JJ Abrams pour réaliser l’épisode VIII, Rian Johnson, l’auteur
de l’excellent « Looper », a positionné son film (ou a été obligé de
positionner son film, on ne sait pas trop qui du réalisateur ou du producteur
décide de ces directions à Disney) entre « Le réveil de la Force » et
« Rogue One », soit entre tradition et révolution. Mais il rate les
deux.
La Force s’est réveillée fade
C’est en
regardant « Les derniers Jedi » que l’on se rend compte du talent
dont a fait preuve JJ Abrams pour renouer avec l’esprit des films originaux. Ce
n’était peut-être pas très audacieux (mais l’épisode VII était pensé comme une
introduction), pour autant ce n’était non plus facile à faire. La preuve en est
apportée aujourd’hui, puisque Rian Johnson échoue complètement à renouer avec
cet esprit. Sauf exceptions, « Les derniers Jedi » est fade, pas
drôle, ennuyeux, répétitif et parfois ridicule.
La légèreté
retrouvée dans l’épisode VII s’est envolée dans l’épisode VIII, la faute notamment à des
idées de gag qui ne font pas rire. L’humour est difficile à maîtriser, tant
il tient à si peu de choses… mais ici il ne fonctionne pas Ainsi, les personnages
apparus dans l’épisode précédent (Rey, Finn, Poe,…), que l’on était content de
retrouver, ont ici perdu de leur pouvoir comique. Ils paraissent très
caricaturaux, semblant incapables de la moindre évolution psychologique (ce qui
n’a d’ailleurs jamais été le point fort de la saga). Par exemple, Poe Dameron
est une tête brûlée, il le restera quoi qu’il lui arrive… Les réactions des
personnages sont si prévisibles qu’ils deviennent complètement vains.
Quant aux
nouveaux personnages introduits dans cet épisode, ils dessinent une
« peoplisation », inédite de « Star Wars », des plus
malvenues : Benicio del Toro n’arrive pas à faire oublier qu’il est
Benicio del Toro. Les anciens personnages (Luke et Leia) ne sont pas mieux
dessinés : leurs comportements sont eux-aussi caricaturaux. Par exemple, de
l’émotion qu’avait réussi à susciter JJ Abrams dans le dernier plan du
« Réveil de la Force » avec le retour à l’écran de Mark Hamill, il ne
reste ici plus rien. Les leçons sur la Force qu’il professe à Rey semblent la bouleverser
mais ne soulèvent rien chez le spectateur, tant les discours prononcés sont
ridicules. Le manque d’idées originales et drôles dans toute cette partie est
criant.
Rereremake
Pour
résumer, cet épisode raconte la fuite des troupes de la Résistance face aux
troupes plus nombreuses et mieux armées du Premier Ordre. On voit d’abord la
Résistance fuir la surface d’une planète, puis fuir à bord de vaisseaux dans
l’espace, puis fuir une forteresse sur la surface d’une planète. Une
course-poursuite linéaire n’est pas forcément un mauvais scénario, comme l’a on ne peut mieux démontré « Mad Max Fury Road ». Mais ici, ce qui est raconté est chaque fois la même chose :
pour contrer le Premier Ordre, il faut une mission-suicide (plus ou moins
compliquée) : détruire un vaisseau, un disjoncteur, une nouvelle
« Etoile de la Mort » en version terrestre… Or ce schéma narratif
était déjà celui des deux derniers films « Star Wars » ! Sa
triple répétition, dans un même film, donne la terrible impression d’une
absence totale d’inspiration des scénaristes, qui semblent avoir été réduits à
tracer des boucles narratives pour faire passer le temps d’ici l’épisode IX. A
l’image de ce que propose la bande originale de John Williams, qui ronronne sans
qu’on y prête attention les thèmes musicaux déjà présentés dans l’épisode VII.
La République en marche
« Les
derniers Jedi » n’est cependant pas aussi « immobiliste » que le
laisse penser sa structure narrative. A la faveur d’une confrontation entre
Kylo Ren et Rey, apparaît en effet une immense lueur d’espoir : la fin du
manichéisme. Kylo Ren propose à Rey dans un discours très macronien de le
rejoindre et de créer un ordre nouveau, ni Premier Ordre/Empire, ni Résistance/Rébellion.
Moment de vacillement : les perspectives narratives ouvertes par ce geste
de Kylo Ren sont immenses ! Pour une fois, on ne devine plus vers quoi
tend la saga. (C’est à croire que pour écrire cette scène les scénaristes se
sont inspirés de la campagne présidentielle française !)
Las. Rey
refuse, et le film retombe sur les rails bien rectilignes et prévisibles de la
lutte du Bien et du Mal. Et ce, alors même qu'il s’était à un autre moment
permis d’esquisser une nouvelle complexité avec le discours du personnage de
Benicio del Toro sur les marchands d’arme (pour finalement ne rien en faire).
Pour ces
lueurs d’espoir, et les belles idées visuelles déployées par le film, tels que
les sillons rouges tracés par les vaisseaux sur la planète où se conclue le
film (planète qu’on croirait tout droit sortie des « Star Trek » de
JJ Abrams), la chambre d’audience de Snoke (inspirée par la Loge Rouge de
« Twin Peaks » ?) ou le moment de silence suivant l’explosion du
vaisseau amiral de la Résistance, « Les derniers Jedi » aurait pu
séduire. Mais il est beaucoup trop long, pas assez drôle, et l’espoir qu’il
suscite est en fait un espoir déçu. Vivement le retour de JJ Abrams.
On retiendra…
Une lueur d’espoir promettant
la déviation de l’histoire de « Star Wars » vers des contrées
narratives et politiques inconnues…
On oubliera…
… mais bien vite déçue. Cet
épisode ronronne dans une routine narrative fatiguée et lassante, qu’on
croirait pensée pour faire passer le temps d’ici l’épisode suivant.
« Star Wars VIII »
de Rian Johnson, avec Daisy Ridley, Adam Driver, Mark Hamill,…