Un nouveau
film de Martin Scorsese est forcément un énorme événement, tant la filmographie
du réalisateur accumule les chefs-d’œuvre, avec une constance remarquable tout
au long de la carrière du metteur en scène (son précédent film, « Le loup
de Wall Street », était un nouveau sommet de son œuvre). Qu’est-ce qui
peut donc encore intéresser un cinéaste qui a déjà tout prouvé ? Une
question éminemment personnelle tant elle est présente depuis le début dans l’œuvre
du réalisateur, celle de la foi. Avec « Silence », il l’aborde avec
une profondeur rare, du point de vue de son œuvre comme de celle des autres cinéastes.
L’histoire est tirée d’un roman historique de Shusaku Endo et raconte la persécution
dont sont victimes deux missionnaires chrétiens au Japon au XVIIème siècle.
Beau, complexe, profond
Le film
frappe d’emblée par sa violence. Il comporte (voire accumule) les scènes de
supplices de chrétiens dont on teste la foi. C’est d’ailleurs une telle scène
qui ouvre le film. L’autre aspect frappant du film est, par contraste, son
calme. Scorsese déroule son histoire sur un rythme plutôt lent. Il n’a presque
jamais recours à de la musique, et lorsqu’il le fait c’est quasiment en sourdine.
La mise en scène elle-même est assez dépouillée – la douleur, terrible, montrée
à l’écran n’est jamais accentuée par des artifices de mise en scène (bref, on est
à mille lieues de l’ultraviolence de « La Passion du Christ » de Mel
Gibson). Surtout, Scorsese filme cette histoire dans des paysages magnifiques, servis
par une photographie sublime de Rodrigo Prieto. La nature, très dure mais si
belle, est partout présente dans le film, et ce n’est pas un hasard.
Il est donc
essentiellement question de la foi dans « Silence », jusque dans son
titre, puisqu’il s’agit du silence de Dieu face aux tortures dont sont victimes
les chrétiens japonais de l’époque. Par sa longueur et sa violence, « Silence »
montre toute l’ambigüité et les doutes que recèle la foi. Est-elle vaine ou
nécessaire ? Une question qui turlupine Scorsese personnellement mais qu’il
arrive à rendre passionnante par son indécision. Si au final et sans aucune
surprise, Martin Scorsese tranchera la question in extremis du côté du croyant,
le film n’en reste pas moins capable de satisfaire tous les points de vue, par
la complexité de ses dilemmes moraux. Et en abordant ce sujet, « Silence »
résonne aussi étrangement et puissamment avec l’actualité – alors même que le
projet du film est vieux de trente ans.
Le plus grand défi de mise en scène
Très beau
malgré son extrême violence, complexe, riche de réflexions, « Silence »
aurait tout d’un nouveau chef-d’œuvre du réalisateur, malgré quelques lourdeurs
(comme le premier carton et le dernier plan du film). Mais il est un point sur
lequel le film échoue. A un moment, Dieu parle au personnage principal (joué
par Andrew Garfield, bien mieux ici que dans « Tu ne tueras point »,
mais qui reste en permanence en-dessous d’Adam Driver). C’est un des défis les
plus difficiles de mise en scène qui puisse se concevoir : comment
représenter le divin ? En s’en tirant par une voix off, Scorsese fait
sciemment le choix de la simplicité. Même assumée, cette solution trop évidente
rend ridicule la scène – et le spectateur est momentanément éjecté de l’histoire
du film.
« Silence »
est donc passionnant, par les débats qu’il suscite sur sa forme. Un grand film,
extrêmement personnel, qui ne peut laisser indifférent.
On retiendra…
Par sa beauté et sa
complexité, « Silence » réussit à rendre passionnante la question de
la foi (alors même que la réponse du réalisateur à cette question est connue
depuis longtemps !).
On oubliera…
Quelques lourdeurs dans la
mise en scène parsèment le film. Dont le moment où une voix off divine intervient.
« Silence » de
Martin Scorsese, avec Andrew Garfield, Adam Driver,…