samedi 16 janvier 2016

Du Rocky bien conservé (Creed, l’héritage de Rocky Balboa)

La carrière au cinéma de Sylvester Stallone ressemble à un gag relevant du comique de répétition : on ne peut parler d’elle qu’avec des verbes en « re- ». En 1976 il incarne le boxeur de Philadelphie Rocky dans le film éponyme. Rôle qu’il reprendra ensuite cinq fois jusque 2006 (« Rocky Balboa »). En 1982 il incarne le vétéran de la guerre du Vietnam Rambo dans le film éponyme. Rôle qu’il reprendra trois fois jusque 2008 (« John Rambo »). En 2010 il interprète Barney Ross, chef des « Expendables ». Rôle qu’il reprendra – pour le moment – deux fois jusque 2014… Pour ce début d’année 2016, Stallone fait encore son retour. Dans « Creed », il reprend son personnage de Rocky Balboa, cette fois non plus pour boxer – dans le film, il n’en a plus l’âge – mais pour entraîner le fils de son ex-meilleur ennemi, Apollo Creed…


L’héritage
Il avait juré après « Rocky Balboa » que ce film serait le dernier de la saga Rocky. On avait regardé le film avec l’émotion des adieux. Ce projet de « spin-off » à la saga Rocky, qui lui permet vaguement de faire une suite sans se parjurer, agaçait donc et faisait craindre le pire. Or, on avait tort.
La réalisation et l’écriture de « Creed » ont été confiées à un jeune réalisateur prometteur (c’est son deuxième film), Ryan Coogler. Combats de boxe à l’issue incertaine, entraînement rythmés par le célèbre thème de Bill Conti, drames familiaux : Coogler reprend tous les codes de la saga Rocky. Et les revitalise. Il réussit à les inscrire dans une nouvelle émotion, car double, entre nouveauté (l’ascension déjà émouvante d’Adonis Creed, très bien joué par Michael B. Jordan) et nostalgie : le film est (évidemment) tissé de références à la saga Rocky, mais joue avec adresse de cet héritage. A l’image de la bande originale : signée Ludwig Göransson, elle réinterprète les thèmes immortels de Bill Conti (auxquels la saga doit beaucoup) mais en surprenant toujours le spectateur, car au moment où l’on pense reconnaitre un thème et deviner la suite de la musique, celle-ci dévie toujours dans une autre direction.
Et puis, surtout, il y a Sylvester Stallone. Le retour vieilli de légendes passées est à la mode en ce moment (Schwarzenegger dans « Terminator Genysis », Harisson Ford dans « Star Wars VII ») mais il est ici particulièrement touchant et émouvant. Stallone rappelle enfin qu’il est un vrai acteur, ce que ces derniers rôles de musclor dans la série des « Expandables » avait fait oublier. Au milieu du film, on est pris à la gorge par ce qui lui arrive. Ajouter à cela deux combats de boxe d’anthologie, qui constituent deux modèles de mise en scène du genre. Le premier nous plonge en immersion totale sur le ring avec Adonis Creed, puisqu’il s’agit d’un impressionnant (et inédit ?) plan-séquence à ses côtés, de son entrée dans l’arène jusqu’à la fin du combat. Le deuxième, dans une forme plus classique mais pas moins efficace, alterne entre les points de vue à la troisième personne avec commentaires des présentateurs dramatisant l’action et effets de mise en scène lors des péripéties de ce combat.
          Entre ivresse du sport et nostalgie du passé, « Creed » n’est que de l’émotion. Le film réussit l’exploit, qui paraissait impensable, de donner très envie de découvrir sa suite…

On retiendra…
Stallone a-t-il déjà été aussi émouvant ? La réactivation de la recette « Rocky » est réussie au-delà de toute espérance.

On oubliera…
Des rebondissements sont téléphonés, notamment l’histoire d’amour.


« Creed » de Ryan Coogler avec Michael B. Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson,…

samedi 9 janvier 2016

Du Tarantino en conserve (Les huit salopards)

Film de gangster, film d’arts martiaux, film de guerre, et enfin western : de « Reservoir dogs » à « Django unchained », Quentin Tarantino a exploré à chaque nouveau film un genre différent, toujours plus ou moins hybridé avec d’autres, jusqu’au western donc. Or, pour son huitième film, Tarantino se « répète » pour la première fois, et retourne sur les terres du western. C’est peut-être de là que vient la première déception éprouvée en regardant le film : d’une manière inédite, le spectateur est en terrain connu face à un nouveau film de Tarantino.


Western théâtral
Difficile cependant de reprocher à QT sa passion pour le western, raison qui l’y fait s’y replonger, surtout qu’il le fait très bien et « en grand » (au moins dans la première partie) : tournage en 70 mm et photographie somptueuse, décors enneigés flamboyants, costumes magnifiques… et musique (originale) d’Ennio Morricone ! Sauf que tout ceci se retrouve bientôt confiné dans la (grande) pièce unique d’une auberge, qui servira d’abri aux « huit salopards » du titre français, pendant que le blizzard sévira à l’extérieur. Huit personnages à l’identité incertaine, qui chercheront à se connaitre, puis – évidemment chez Tarantino – à se tuer, une fois que le passé de chacun sera déterré. Ce huis-clos enneigé où tout n’est que faux-semblant et où la violence sourd, rappelle le terrifiant « The thing » de John Carpenter. Ça ressemble aussi à une pièce de théâtre, avec cette unité de lieu, de temps, d’action – ce qui n’est pas sans humour, eu égard au prestige du 70 mm avec lequel Tarantino a tourné cette histoire (le format associé aux grandes épopées)…
Narration éclatée en un puzzle temporel de chapitres, dialogues longs et tortueux, pleins de violence mais toujours prononcés avec une exquise civilité, flash-backs, insertions de chansons modernes, répétition d’une scène sous un autre angle, coup de théâtre souterrain… et explosions de violence gore : Tarantino reprend toutes les ficelles formelles de son cinéma, dans ce film qui ressemble à un condensé de son œuvre. C’est donc très bien… mais l’on aurait quand même aimé plus de fraîcheur : en refaisant un western, Tarantino frôle pour la première fois la redite. Ceci peut s’illustrer par un point du film en particulier : la manière dont Tim Roth est dirigé. De ses intonations à sa gestuelle, Tim Roth imite – parfaitement – Christoph Waltz. Ce dernier était-il indisponible pour le tournage (à cause de « 007 Spectre ») ? Lors de la projection, cette imitation crée une confusion, et interroge sur le degré d’inspiration du réalisateur qui n’a peut-être pas su réécrire un rôle imaginé pour un autre.

Malaise
Mais ces quelques problèmes sont des détails à côté de ceux que posent ici les provocations violentes et racistes de Tarantino. On sait bien que QT n’est pas raciste – comment aurait-il pu écrire et réaliser « Django unchained » sinon ? – mais il va trop loin dans « Les huit salopards ». Ce n’est plus du rire qu’il provoque, mais du malaise.
L’origine de ce malaise vient du fait que le film n’est pas adossé à une entreprise de vengeance historique comme « Django unchained » ou « Inglorious basterds » – même si « Les huit salopards » n’est pas pour autant déconnecté de toute ambition historique, puisqu’il évoque les fractures sociales et les rancœurs laissées par la guerre de Sécession. De plus, aucun des « huit salopards » n’est à sauver. Or, un personnage tarantinesque est toujours monstrueux, proche de la caricature. Tous les personnages seront donc rendus abjects au cours du film. En absence de héros positif, et d’entreprise de correction de l’Histoire, Tarantino semble ne tenir aucun discours, et sa manière de montrer le racisme de l’époque ou de représenter la violence apparait alors comme gratuite et complaisante. A croire que Tarantino voulait donner raison à ses détracteurs de toujours ! Après deux films aussi formidables que « Inglorious basterds » et « Django unchained », c’est d’autant plus inattendu et regrettable.
Au lieu d’un grand film sur l’Amérique, « Les huit salopards » ressemble donc plutôt à un huis-clos très bien construit, mais tournant à vide.

On retiendra…
C’est toujours avec grand plaisir que l’on retrouve la forme Tarantino. L’amour que met le réalisateur à ressusciter le western.

On oubliera…
Sans justification évidente, les explosions de violence et les incessantes insultes racistes apparaissent comme gratuites et provoquent le malaise.

A noter :
Quentin Tarantino a convaincu ses distributeurs d’exploiter « Les huit salopards » en 70 mm, avec une ouverture et un entracte. C’est avec un immense plaisir que l’on assiste à cette projection qui revêt alors un caractère exceptionnel et rappelle l’époque classique des grands films hollywoodiens, que l’on ne pouvait plus que vivre par le biais de projections DVD. Gros bémol cependant : ce bonheur ne sera que très difficile d’accès, avec une seule copie 70 mm pour toute la France…


« Les huit salopards » de Quentin Tarantino, avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh,…

vendredi 1 janvier 2016

Top 15 des films de 2015


C’est l’un des meilleurs moments d’une année cinéphile : l’établissement du top des meilleurs films de l’année. On pourrait parler à son propos de tradition, tant sa pratique est répandue. Elle en effet est tellement jouissive : elle transforme les séances de projection d’une année en une traque, celle du meilleur film. En 2016, comme en 2015, et comme les années précédentes, les films défilent jusqu’à ce qu’il y en ait un qui marque la mémoire… On le place alors provisoirement en tête du top de l’année en cours. Mais loin d’apporter une quelconque satisfaction, il ne fait que relancer la recherche du meilleur film : pourra-t-il être détrôné ? Cette année tout semblait être joué le 14 mai 2015 lorsque est sorti « Mad Max :Fury Road ». J’ai déjà dit ici et tout l’importance de ce film hors norme, ce blockbuster d’auteur intelligent et fou qui représente un cinéma à grand spectacle qu’on croyait disparu (et dont « Sorcerer », ressorti cette année, est un éminent représentant). Ça parait dingue pour le quatrième épisode d’une saga commencée en 1979 mais « Mad Max : Fury Road » est aussi le film qui aura le plus résonné avec l’actualité de 2015, car en sus d’être une fable écologique, c’est le seul film de l’année qui parlait du fanatisme religieux, et s’en moquait.

3. Cemetery of splendour
5. The lobster
6. Trois souvenirs de ma jeunesse
7. L'ombre des femmes
9. Taxi Téhéran
11. Valley of love
12. Dheepan
13. Réalité
14. Journal d'une femme de chambre
15. Vincent n'a pas d'écailles

Et pourtant, le film de George Miller ne figure qu’à la deuxième position de ce top 15. J’ai déjà exprimé ici ma gêne à propos de « Le fils de Saul », des questions que sa mise en scène pense résoudre sans toutefois y parvenir. J’ai hésité… mais bien qu’il soit imparfait, le film de László Nemes ne pouvait pas figurer ailleurs qu’en première place. Non seulement pour le choc que sa projection représente, mais surtout parce que c’est sans conteste l’acte cinématographique le plus courageux et réfléchi qu’il ait été donné de voir cette année. Ce film est historique dans les deux sens du terme.
Deux autres films ont été très durs à placer : « Il est difficile d’être un dieu » et « Knight of cups ». Le monstre posthume d’Alexeï Guerman, (que j’avais vu en 2014) est tellement démesuré et tellement exténuant à regarder aussi que lui donner une place était un casse-tête. Notons que ce film désespéré, qui n’appartient à aucune époque, traite aussi du fanatisme religieux, et de ses conséquences… Quant au film de Terrence Malick, il creuse – même si c’est d’une manière unique, si admirable, que j’ai déjà louée ici –  la même veine que ses deux films précédents sortis en 2011 et 2013. Ça n’aurait pas de sens de faire figurer tout en haut de trois des cinq derniers tops les films de Malick… désormais si prolifique.